Hiroshima mon amour (1959) Alain Resnais
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Hiroshima mon amour (1959) Alain Resnais
Devoir de mémoire et amours interdites
Avant de tourner Hiroshima mon amour, le sémillant Alain Resnais avait réalisé un nombre impressionnant de court-métrages et de documentaires. Pour s’attaquer à ce film ambitieux, il demande tout d’abord à Françoise Sagan d’en écrire le scénario. Mais celle-ci se désiste et il se dirige alors vers Marguerite Duras. Celle-ci est alors à la pointe du Nouveau roman, et Barrage contre le pacifique vient d’être adapté par René Clément. Présent au Festival de Cannes, le film est retiré de la compétition de peur de déplaire aux américains. Il y reçoit tout de même un Grand prix non officiel, tandis que pour la petite histoire le Jury décernait à François Truffaut le Prix de la mise en scène pour Les quatre-cent coups. De façon ironique le film sera un an plus tard nommé aux Oscars pour son scénario.
Dans une chambre d'hôtel, un homme japonais répète inlassablement à sa maîtresse française qu'elle n'a rien vu à Hiroshima. Pourtant elle ne cesse de lui répondre le contraire. Elle a vu les hôpitaux, avec leurs malades et leurs douleurs. Elle a vu les musées, quatre fois. Ils lui ont montré l'horreur de la guerre et la folie des hommes. Des pierres en témoignent, fissurées, brulées. Les reconstitutions vidéos prouvent les mêmes ignominies, commises au sortir du conflit. Arrivant de sa province natale, de son village de Nevers perdu en bord de Loire, elle était à Paris quand pour la première fois elle a entendu parler d'Hiroshima. Elle se souvient de la consternation générale, de l'effroi qui gagnait tout un chacun, de l'incompréhension, de l’impossibilité de s’imaginer une telle absurdité. Et de l'oubli, qui, peu à peu, a gagné les esprits.
Pour apprécier Hiroshima mon amour, il faut le replacer dans son contexte. La guerre est finie depuis quatorze ans, les Alliés ont gagné et les Trente Glorieuses battent leur plein, avec le rebondissement économique mais aussi avec un certain déni. C'est ce moment que choisit Alain Resnais pour se souvenir, pour faire son devoir de mémoire. Quatre ans plus tôt il réalisait Nuit et brouillard, maintenant il évoque des faits tout aussi tabous, et bientôt il retravaillera la figure du souvenir dans nombre de ses films, en particulier L’année dernière à Marienbad. Il faut dire que les États-Unis occultent encore à l’époque les ravages qu'ils ont pu causer avec la bombe atomique, et la France n'est pas la première à se remémorer le temps de l'Occupation. Le geste de l'artiste trace alors un pont entre Hiroshima et Nevers, entre deux amours tout aussi forts et tout aussi impossibles.
Apprécier Hiroshima mon amour c'est également le remettre dans son contexte cinématographique. Si l'on attribue à ce film, parmi d'autres encore, la paternité de la Nouvelle vague, ce n'est pas innocent. Le long-métrage d'Alain Resnais est une révolution formelle, dans sa narration déstructurée qui déboussole le spectateur. Il est également novateur à l'oreille, les acteurs scandent le texte répétitif et poétique, furieusement littéraire, écrit par Marguerite Duras. Parlons-en des interprètes, et en particulier d'une actrice. Car Emmanuelle Riva sera éternellement associée à ce personnage de femme sans prénom, pour mieux nous signifier l’universalité du propos. À quoi sert-il d’aimer si l’on doit tout oublier ? Si la parole délie, elle ravive également les blessures du passé. Elle n’en est pas moins nécessaire, et plus encore salutaire.