De beaux lendemains (1997) Atom Egoyan
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De beaux lendemains (1997) Atom Egoyan
Daddy issues
Si le réalisateur canadien d’origine arménienne Atom Egoyan a débuté sa carrière dans les années 1980, disséquant déjà secrets et tabous dans des films tels que Family viewing, il ne se fait connaître sur la scène internationale qu’à partir des années 1990. D’abord avec The adjuster, polar à multiple focale sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, puis avec Exotica, dont les relations troubles attiseront la curiosité des cinéphiles lors de sa présentation en sélection officielle au Festival de Cannes. Il y reçoit trois ans plus tard le Grand prix pour De beaux lendemains, son adaptation du roman de Russel Banks, qui sera deux fois nommé aux Oscars. Il y prenait le risque de monter un film avec pour star principale Ian Holm, dont la carrière pourtant riche n’avait pas occasionné une grande notoriété auprès du grand public. À ses côtés, Sarah Polley, déjà présente dans son précédent film, n’était qu’au début de sa carrière, tandis que l’envoûtante Arsinée Khandjian, épouse du réalisateur, complétait le casting.
Alors qu’il est dans sa voiture, en plein lavage automatique, l’avocat Mitchell Stevens reçoit un appel de sa fille Zoé, qui l’appelle depuis une cabine téléphonique. Son discours est un peu incohérent et son père la soupçonne d’être sous l’influence de drogues. La discussion se termine brusquement et Mitch se rend compte qu’il est coincé et doit sortir de la voiture et se faire tremper pour pouvoir se dégager de la machinerie encore en marche. Quelques années auparavant, dans une petite ville canadienne, Nicole, une adolescente, chante sur scène avec son groupe, sous le regard attendri de son père Sam. Puis ils se promènent dans une fête foraine et mangent une glace tout en regardant les enfants du coin sortir de leur bus scolaire, sous la férule de la conductrice, Dolores. De son côté, lorsque Mitch arrive dans le motel tenu par Risa et Wedell, il leur parle de l’accident qui leur a fait perdre leur fils et pour lequel il souhaiterait les représenter dans un procès.
Comme souvent, Atom Egoyan utilise dans De beaux lendemains des temporalités éclatées. On passe d’une scène à l’autre, sans transition apparente, de moments clés en moments clés dans la vie des protagonistes. Plus précisément, trois périodes sont évoquées : l’une qui précède l’accident qui est au centre de l’intrigue, une deuxième qui lui succède et une troisième qui se situe deux ans plus tard. Cette distorsion du temps raconte les vies brisées de ces parents endeuillés, perdus, ou de cette adolescente meurtrie dans sa chair et dans son âme. De même, les paysages de ces étendues neigeuses, la blancheur apparente et la froideur du climat met en image la solitude de cette communauté autrefois soudée mais dont un drame a fait éclater les certitudes. Ainsi la mise en scène d’Egoyan se révèle, à l’instar de cet avocat persistant et aux motivations ambiguës, le moteur qui fera imploser les apparences, pour le meilleur ou pour le pire.
Car le spectateur se rend compte dès le début de De beaux lendemains des failles qui gangrènent cette petite ville. Les rumeurs vont bon train et les habitants n’hésitent pas à évoquer les maltraitances dont sont victimes certaines épouses, les addictions des uns et les dettes des autres. L’on découvre également assez rapidement un sombre secret que personne ne connaît, et qui sera la clé du dénouement. Et plus le film avance, plus la vérité va-t-elle se dérober, comme si rien ne pouvait changer, la rédemption n’étant pas possible dans un environnement aussi sclérosé. La conclusion proposée offre alors la solution mi figue mi raisin d’un apaisement souhaité qui passe par le déni. Le titre du film peut alors être lu d’une façon optimiste, où l’on projette un avenir apaisé aux protagonistes, comme pessimiste, où l’auteur nous fait comprendre de manière ironique par cette antiphrase que leur destin est scellé, et que rien n’y pourra changer.
Il faut dire que chacun des personnages principaux de De beaux lendemains possède ses failles et ses faiblesses, conscientes ou inconscientes. Les figures des pères, parfois absents, parfois trop présents, y sont proéminentes, et les relations qu’ils entretiennent avec leurs filles n’ont rien de simple. Tous luttent avec leurs sentiments, qu’ils soient la culpabilité, la colère ou l’amertume, sans pouvoir s’en départir. Pourtant rien n’est appuyé dans les films d’Atom Egoyan, qui laisse le spectateur seul juge de ce qu’il voit, ou de ce qu’il suppose. La complexité des rapports humains règne, et aucune morale ne nous est proposée, aucun poncif ne nous est imposé. Le réalisateur fait confiance en notre intelligence pour dénouer les fils de l’inconscient qui tissent la narration. Il peut compter sur la finesse de jeu des actrices et des acteurs qui, sans effet de manche et sans tirer la couverture à soi, parviennent en un regard à nous faire comprendre les enjeux dramatiques.