Grosse fatigue (1994) Michel Blanc
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Grosse fatigue (1994) Michel Blanc
Celui que vous croyez
L'histoire centrale de Grosse fatigue a été inspirée par une mésaventure qu'a vécu Gérard Jugnot. Il a découvert un jour qu'un de ses sosies se faisait passer pour lui lors d'animations commerciales dans des supermarchés. L'une des scènes du film de Michel Blanc reprend d'ailleurs ce fait divers, en le parodiant et en ridiculisant l'usurpateur. Car, conseillé par Bertrand Blier qui lui souffle l'idée, l'interprète du mémorable Jean-Claude Dusse a repris cette anecdote pour broder un film sur la notoriété. Il réussit à convaincre pléthore de stars de l’époque, qui vont faire un caméo dans son film, qui sera sélectionné au Festival de Cannes. Il y décrochera d'ailleurs le Prix du scénario dans une compétition qui ne réunit pas moins que Pulp fiction ou bien La reine Margot. Si le film dépasse ce dernier au box-office, il ne récidive pourtant pas la prouesse de Marche à l'ombre, premier film de Blanc, sorti sept ans plus tôt et qui avait cartonné.
Devant une caméra de télévision, Carole Bouquet se souvient du comportement étrange de son ami Michel Blanc, qu'elle a commencé à remarquer un an plus tôt. La police était venu chez lui l'interroger car ils ont reçu la plainte d'un chauffeur de taxi qui prétend qu'il ne lui a pas payé sa course. Blanc dément, il a passé la journée chez lui à écrire le scénario d'un film qu'il prévoit de tourner avec Carole Bouquet. À Cannes, durant le festival, Blanc veut s'installer dans la suite qu'il a réservée dans un palace mais le réceptionniste lui dit qu'il l'a annulée, ce que l'acteur dément formellement. Pourtant Gilles Jacob lui assure que son agent l'a appelé pour lui dire qu'il ne pouvait pas venir. Le directeur du festival tente tout de même de trouver une solution, et accepte que Blanc prenne la suite de Gérard Depardieu, qui est parti passer trois jours en Bulgarie. Avant de s’installer, Blanc exige tout de même qu'on change les draps.
On peut difficilement trouver meilleure définition d'un film méta que Grosse fatigue. Ici ce n'est pas tant ici la métaréférence, où un personnage prendrait conscience qu'il est dans une œuvre de fiction, qui est mise en place. Ce n'est pas non plus tant l'acte filmique en lui-même qui, à l'instar d'une Nuit américaine, intéresse Michel Blanc. Il interroge ici plutôt le concept de célébrité en lui-même, et assume complètement ce parti-pris de miroir. Au lieu de prendre, comme l'a fait Woody Allen dans Celebrity, des personnages fictifs pour incarner des personnalités n'ayant jamais existé, Michel Blanc fait appel à ses potes qui jouent leur propres rôles. Sauf que la Carole Bouquet qui est dans le film ne fait que ressembler à l'actrice de Trop belle pour toi, et à l'image de ce que nous avons d'elle. Et bien évidemment, le réalisateur en joue énormément, et va tirer de nombreuses anecdotes pour nourrir son film de répliques savoureuses.
On joue ainsi constamment avec la réalité dans Grosse fatigue, et c'est une des forces du film. Les dialogues sont absolument excellents et on retiendra plusieurs punchlines tels ce « prends-moi comme une ouvrière » ou bien « c'est de tourner avec Buñuel qui vous a rendue mystique ? ». On retrouve ici la patte de Bertrand Blier, même s'il n'est au générique crédité que pour l'inspiration d'une idée originale. Le rythme des dialogues ou certaines saillies pourraient en effet typiquement se retrouver dans un film de l'auteur de Buffet froid. La fin du long-métrage est tout aussi inspirée par ce même Blier, mais pas forcément dans le bon sens du terme. Si on comprend qu'il n'y avait pas beaucoup de possibilité de clore cette intrigue, la lourdeur que l'on retrouve dans les dernières scènes nuit à l'impression d'ensemble que l'on pouvait jusque là ressentir. Mais pour peu que l'on accepte le dispositif global du film, on pardonne tout de même facilement à Michel Blanc cette maladroite pirouette scénaristique.
Car c'est tout de même un plaisir pur que de se trouver durant une heure et demie en si bonne compagnie que celle de Grosse fatigue. La prestation de Carole Bouquet est à ce titre épatante. Sa présence illumine le film, et elle joue tellement bien de sa personne, usant d'un second degré appréciable, qu'on se plaît à croire que toute cette histoire est réelle. Le jeu entre réalité et fiction pourrait lasser mais le film ne traîne pas en longueur et on passe un très bon moment de comédie. On atteint même des niveaux de burlesque tout à fait charmant quand le personnage principal se retrouve coincé dans le village de son usurpateur. On ne sait plus vraiment qui de l'arroseur devient l'arrosé, et la jubilation que la situation procure à la fausse / vraie Carole Bouquet donne aux scène un aspect loufoque et décalé. Le talent de scénariste que Michel Blanc exerçait avec Patrice Leconte est ici confirmé.