L’intendant Sansho (1954) Kenji Mizoguchi
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L’intendant Sansho (1954) Kenji Mizoguchi
Un homme sans pitié n’est pas humain
Riche année qu’est 1954 pour le cinéma. Les États-Unis nous offrent entre autres La comtesse aux pieds nus, Fenêtre sur cour ou La rivière sans retour, en France sort Touchez pas au grisbi, en Italie est montré Senso tandis que le Japon révèle Les amants crucifiés. Outre cet ouvrage majeur, Kenji Mizoguchi est en particulier bien en verve puisque l’année précédente il livrait l’immense Contes de la lune vague après la pluie et qu'en cette même année 1954, les spectateurs chanceux auront pu se délecter devant L’intendant Sansho. Ne volant pas son Lion d’argent au Festival de Venise, prix secondaire mais qu'il partage néammoins, et ce n'est pas peu dire, avec Les Sept Samouraïs, La Strada et Sur les quais, le film dépeint subtilement la tragédie d’une famille dans le Japon médiéval.
Un père de famille, gouverneur de province qui avait semble-t-il des idées trop libérales pour les autorités fédérales, est forcé à l’exil avec son épouse et ses deux enfants. Au cours de son voyage il s’efforce d’inculquer à son jeune fils ses concepts de vie humanistes avant de l’envoyer vivre avec sa mère et sa sœur. Or, c’est en le quittant que les trois malheureux vont être piégés par des marchands d’esclaves sans scrupules, informés de leur présence par une prétresse chez qui ils s'étaent réfugiés, et sont définitivement séparés. La mère sera vendue comme courtisane sur l’île de Sado tandis que les deux enfants, Zushio et Anju, vont devenir esclaves sous la férule du féroce intendant Sansho. Dix ans passent durant lesquels ils forgent chacun leur caractère.
Nous sommes donc avec L'intendant Sansho en présence d’un récit initiatique assez peu courant dans l’œuvre de Kenji Mizoguchi puisqu’il concerne principalement un jeune homme, Zushiô. C’est à celui-ci que le père prodigue ses conseils avisés en début de film, leçons de vie que dix ans passés en esclavage sous la férule d'un féroce propriétaire vont peu à peu anéantir. Mais comme à l’accoutumée chez le réalisateur japonais, ce sont des femmes qui vont le révéler à lui-même : sa sœur Anju, qui le réveille de sa torpeur, mais aussi le souvenir de sa mère Tamaki, sans doute ravivé par cette esclave moribonde qu’il va tenter de sauver. Le changement qui s’opère alors chez le garçon devenu homme est radical et réveille en lui des ardeurs pour réhabiliter la mémoire de son père.
Fidélité familiale, honneur et traditions ancestrales : autant de thèmes emblématiques qui jalonnent les films japonais de l’époque et en particulier ceux de Kenji Mizoguchi. Il est intéressant de noter combien le réalisateur parvient à combiner dans L'intendant Sansho à la fois une cruauté extrême (les scènes de torture, pourtant pudiquement éludées en contre-champ, sont d’une intensité fulgurante) et une tendresse véritable suggérée au travers de la relation qu’entretiennent Zushio et sa sœur ou sa mère (la dernière scène est à ce titre bouleversante de simplicité et d’émotion). Encore une fois, il réussit à ne garder que l’essentiel dans un récit plein de rebondissement : pas de doutes, Mizoguchi est un brillant raconteur d’histoires.
Et L'intendant Sansho ne manque pas de qualités esthétiques. Le travail du directeur de la photographie Kazuo Miyagawa est ici encore une fois impeccable : habitué des plateaux des plus grands réalisateurs japonais, de Akira Kurosawa à Yasujirō Ozu, il signe ici une image au noir et blanc stylisée qui accompagne habilement le récit. Ajoutez à cela une interprétation toute en nuances notamment de Kyoko Kagawa, habituée des plateaux du maître japonais qui nous montre ici l’image d’une femme prête à tous les sacrifices pour sauver l’honneur de sa famille. On obtient un des meilleurs films de Kenji Mizoguchi (et pourtant ils sont nombreux), et osons le dire un classique du cinéma japonais qui en inspirera plus d’un par la suite.