L'aventure de Mme Muir (1947) Joseph L. Mankiewicz
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L'aventure de Mme Muir (1947) Joseph L. Mankiewicz
Quand élégance rime avec finesse
Certains réalisateurs sont déjà au début de leur carrière quasiment au faîte de leur maîtrise de l’art cinématographique, l'exemple le plus typique étant Orson Welles qui, avec Citizen kane, en a épaté plus d'une et plus d'un. Et à en voir L’aventure de Mme Muir c’était aussi le cas de Joseph Leo Mankiewicz. Il faut dire qu’un an après son premier film, il s’entoure d’une équipe solide : devant l’écran Gene Tierney (qui vogue alors sur le succès), Rex Harrison et George Sanders (qu’on retrouvera plus tard au fil de la filmographie du réalisateur) et à la musique Bernard Herrmann qui commence bien à se faire connaître. Tout ça laissait augurer du meilleur, et si l’on rajoute un scénario finement brodé, adapté d'un roman écrit par l'écrivaine britannique Josephine Aimee Campbell Leslie, alias R.A. Dick, inutile de dire qu’on n’a plus qu’à se régaler.
Dans l’Angleterre du début du 20e siècle, une jeune veuve, Lucy Muir, s’émancipe d’une belle famille pesante pour aller vivre avec sa fille Anna et sa domestique Martha, dans un village au bord de la mer. Malgré les mise en garde de son agent immobilier, elle s’installe dans une maison isolée sur une falaise, maison qu’elle découvrira bien vite hantée par son précédent propriétaire, le capitaine Daniel Gregg. Le fantôme s'avère très vite pas très commode, tout du moins au premier abord, mais ne semble pas vraiment malveillant. Il s'accorde d'ailleurs à ne jamais apparaître en la présence d'Anna, afin de ne pas lui faire peur. Lucy étant en mauvaise passe financière, Daniel lui propose qu'elle prenne en note ses mémoires, afin de les publier. S’instaure alors une relation de défiance puis d’attirance entre ces deux personnages solitaires.
Le mélange des genres est de mise dans L'aventure de Mme Muir. Fantastique, comédie romantique, drame intimiste : tout y passe et se fond pour créer un ensemble harmonieux. De l'aveux de Joseph Leo Mankiewicz, c'est tout de même l'histoire d'amour qui l'intéresse le plus, souhaitant réaliser un mélodrame dans le plus pur style hollywoodien de l'époque, avec, cerise sur le gâteau, un noir et blanc et une photographie éclatants. Mais il ne sombre dans aucun des clichés qui émaillent trop de comédies romantiques et fait évoluer son intrigue avec beaucoup de finesse. Le ton qu'il emploie utilise d'ailleurs largement le secon degré, tout en cultivant une naïveté assez touchante, qui renvoie à l'enfance. On saluera au passage le rôle de la fille, incarné par Natalie Wood qui, huit ans avant La fureur de vivre, est déjà une enfant star.
Et l'on peut voir L'aventure de Mme Muir avant tout comme une histoire de femme, fière et indépendante, comme les aime, et les a souvent filmés Joseph Leo Mankiewicz. La sublime Gene Tierney prend à bras le corps ce rôle, le forgeant d’ironie mais aussi de tendresse et de douceur. À ses côtés, le prolifique Rex Harrison est parfait en marin bourru qui se laisse séduire malgré lui et l'excellent George Sanders incarne un rôle encore une fois magistralement cynique et, on peut le dire, parfaitement odieux. Les acteurs semblent du reste se régaler sur des dialogues exquis et finement ciselés qui frisent parfois une misogynie de façade (qui tient plus à l'époque qu'à une quelconque phallocratie de la part du réalisateur), tandis que la gent masculine est subtilement mais efficacement écorchée.
L’ambiance fantastique de L'aventure de Mme Muir est superbement mise en valeur par le jeu entre les ombres et la lumière, en particulier au début du film, tandis que les décors et les images de la mer en furie appuient remarquablement le romantisme du propos. On se laisse emporter par ces récits de marin qui donnent envie de prendre le large, mais on se laisse aussi séduire par le charme ravageur d’une femme forte qui veut rester maîtresse de son existence. Par de subtiles détails (par exemple un travelling mettant en avant les ravages de la marée sur le rivage), des ellipses nous font voyager à travers le temps et suivre le fabuleux destin de cette fameuse Mme Muir. C’est beau, c’est captivant, c’est élégant : Joseph Leo Mankiewicz est définitivement un Grand, et il continuera à la prouver tout au long de sa carrière.