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La corde (1948) Alfred Hitchcock

La corde (1948) Alfred Hitchcock

Publicado el 20, dic., 2021 Actualizado 20, dic., 2021 Cultura
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La corde (1948) Alfred Hitchcock

Petit meurtre entre amis

Pour son premier film en Technicolor, Alfred Hitchcock pimente la difficulté technique en réalisant un long-métrage laissant croire au spectateur qu’il fut tourné en un seul et même plan. Adapté d’une pièce de théâtre écrite par Patrick Hamilton, elle-même inspirée d’un fait divers, La corde devait en effet garder l’impression d’unité de temps et de lieu, à savoir celui d’un appartement. Les capacités des caméras ne lui permettant de tourner que des plans de 10 minutes, Hitchcock aura alors recours à de subtils raccords pour faire illusion. Mais le film ne se résume pas à cette originalité technique unique en son genre. Sur le fond, le film fait à de nombreuses reprises à l’inépuisable source pour le cinéma qu’est Crime et châtiment, de Fiodor Dostoïevski, tandis que les aficionados du réalisateur d’origine britannique ne manqueront pas la subtile allusion, dans un des dialogues, aux Enchaînés, sorti deux ans plus tôt, et qui fut un de ses plus grands succès.

Deux étudiants, colocataires new-yorkais, Brandon Shaw et Philip Morgan, étranglent avec une corde leur camarade David Kentley. C’est pour eux l’occasion de tester la théorie nietzschéenne, inculquée par leur professeur, Rupert Cadell, mettant en avant la supériorité des « êtres supérieurs », qui pourraient disposaient comme bon leur semblent des « êtres inférieurs ». Se croyant intouchables, ils invitent à dîner les proches de leur infortunée victime tout comme Cadell, et demandent pour l’occasion à leur femme de ménage de disposer le couvert sur le coffre où est caché le corps. Le premier arrivé est un ami des deux garçons, l’ancien fiancé de Janet Walker, qui l’a quitté pour se mettre en couple avec David. Quand elle arrive, celle-ci s’étonne de se retrouver en sa présence, et un léger climat d’embarras s’installe. Monsieur Kentley entre ensuite en scène avec sa belle-sœur, l’exubérante Mrs. Atwater, puis arrive le professeur Cadell, et tout le monde se demande pourquoi David est tellement en retard.

Ainsi un jeu au chat et à la souris va se jouer dans La corde, entre les convives qui ignorent tout du meurtre et les deux criminels, le spectateur jouant le rôle de voyeur. Tandis que l’ambiance est apparemment festive, les deux hôtes cultivent un secret morbide, et l’on se prête au petit jeu de savoir s’ils vont au final être démasqués. Le spectateur, embarqué dès la première scène dans l’intimité des tueurs, se retrouve dans une position malaisante, souhaitant parfois même qu’ils s’en sortent indemnes. En outre, les dialogues aiguisés du film usent avec jubilation du second degré et de bons mots savoureux tandis que de nombreuses petites surprises maintiennent l’attention du spectateur. Mais c’est surtout la théorie d’Alfred Hitchcock sur le suspense qui est ici habilement appliquée : le spectateur, ayant vu le meurtre dès le début du film, n’a pas à se soucier de la surprise que pourrait représenter sa découverte,par contre il expérimente le suspense de savoir si et quand le cadavre sera découvert.

Ainsi le scénario de La corde est-il assez riche en lui-même et permet de développer de nombreux thèmes qu’affectionne Alfred Hitchcock : culpabilité, relations troubles… et surtout une des questions qui revient souvent dans l’œuvre du maître du suspense : peut-on commettre le crime parfait ? Parfait dans le sens d’impuni, cela va de soi. Et il élargit le discours ici en y ajoutant une subtilité machiavélique : un crime doit-il être motivé par un mobile particulier ? Selon Rupert Cadell, l’ancien professeur de Brandon et Philip, on peut commettre un crime selon des critères tout autres, comme la supériorité d’un être sur un autre, qui lui donnerait droit de vie et de mort sur autrui. Ce qui nous ramène à la théorie du Surhomme de Friedrich Nietzsche, considérée par Cadell comme purement théorique, ce qui n’est pas le cas de Brandon. Car du couple terriblement ambigüe formé entre Brandon et Philip, le premier en est clairement le diable tentateur.

Superbement interprété par John Dall, Brandon est un être fougueux et exalté, persuadé de son bon droit et de sa supériorité. Une supériorité qu’il exerce à dessein sur Philip, un Farley Granger sur lequel passent graduellement toute une palette d’émotions. La relation entre ces deux-là est particulièrement intéressante, leur homosexualité latente restant tout du long sous-tendue par des regards et des lapsus. Quant au professeur, magistral James Stewart, son rapport avec Brandon et Philip n’est pas non plus exempt d’une certaine ambiguïté. La tension dramatique est maintenue pendant tout le film grâce à des scènes jubilatoires, comme celle où la gouvernante dessert petit à petit le couvert sur le coffre pour pouvoir y ranger des livres. Songeons aussi à l’habileté dont a dû faire preuve l’équipe du film coincée dans ce huis clos en quasi plan unique. Ceci dit, plus qu’une expérience cinématographique, La corde est un film majeur dans la filmographie d’Alfred Hitchcock.

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