Les intranquilles (2021) Joachim Lafosse
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Les intranquilles (2021) Joachim Lafosse
À perdre la raison
Les influences des Intranquilles sont diverses, tout en ne phagocytant pas le film. Le père de Joachim Lafosse, photographe, était maniaco-dépressif, ce qui a conduit le réalisateur à vouloir centrer son personnage principal sur cette activité artistique. Le casting de Damien Bonnard, qui, après des études de Beaux-arts, a été l’assistant de la peintre Marthe Wéry, a convaincu le réalisateur de modifier la discipline de son protagoniste. Amateur de l’œuvre de Piet Raemdonck, le cinéaste l'a ainsi fait intervenir dans son film, les toiles présentes à l’écran étant peintes en collaboration entre l'artiste et l’acteur. Le titre du long-métrage, quant à lui, s’inspire du livre de Gérard Garouste et Judith Perrignon, L’intranquille. Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. Ce fut ici l’occasion, pour le réalisateur d’Élève libre, d’obtenir sa première participation en Compétition officielle au Festival de Cannes, en exploitant une fois de plus les thématiques familiales qui ont souvent nourri sa filmographie.
Leïla dort sur une plage tandis que son mari Damien est sur un petit bateau à moteur avec leur fils Amine. Alors qu'ils sont à l'arrêt en pleine mer, Damien plonge dans l’eau et dit à Amine de rentrer tout seul, puisqu’il sait le faire. Quand elle se réveille, Leïla accueille le garçon sur le rivage et vérifie qu'il va bien, lui demandant s’ll a eu peur. Au bout d'un moment, elle commence à s’inquiéter de ne pas voir rentrer Damien à la nage, mais elle finit par le retrouver. En pleine nuit, il se réveille et se dirige vers le garage pour réparer un vélo. Quand elle le rejoint, il dit à Leïla qu'il n'est pas fatigué et lui conseille de retourner au lit. À sept heures du matin, il décide de partir faire des courses pour préparer l'arrivée de leur ami Serge, qui est le galeriste de Damien. Une exposition de ses œuvres est prévue bientôt, et Serge valide les dernières toiles que l’artiste a récemment produites. Durant le séjour de leur ami, Damien s’affère frénétiquement en cuisine, préparant de nombreux plats, souvent en même temps.
Le langage courant a tendance à vulgariser des termes comme maniaco-dépressif, hyperactivité ou bipolarité. C’est oublier que ce que d’aucuns nomment pudiquement des « troubles de l’humeur » peuvent se référer à un symptôme psychique. Ce que met en lumière Les intranquilles, c’est justement cette pathologie clinique, et les conséquences qu’elle peut avoir sur le patient et son entourage. Cela dit, le long-métrage est loin d’être un documentaire ou un film à thèse sur la question. Joachim Lafosse nous raconte l’histoire de cet homme et de cette femme qui, amoureux et parents, doivent faire face à une situation plus que tendue. Ce qui ne l‘empêche pas de nous offrir des scènes tendres et légères, comme cette séquence magnifique où ils chantent Idées noires, dont les paroles résonnent tellement avec leur vécu. L’un ne sait pas être tranquille, et rêve d’un autre monde, l’autre est sans cesse vigilante, se demandant à quel moment on pensera à elle.
Au milieu de tout ça, il y a un enfant qui est bien obligé de grandir trop vite. Dès la première scène des Intranquilles, on s’en rend compte, et on est intrigué par ce père de famille qui laisse son fils d’à peine dix ans conduire un bateau à moteur. Notons au passage la maturité, la malice et la justesse de Gabriel Merz Chammah, qui est accessoirement le petit-fils d’Isabelle Huppert. Ainsi, la caméra suit les faits et gestes des protagonistes au plus près, tantôt avec calme, tantôt de façon plus heurtée. La mise en scène de Joachim Lafosse parvient ainsi habilement à nous transcrire la fébrilité qui les étreint, et l’attention de chaque minute que doit conserver le personnage incarné avec grâce par Leïla Bekhti. Sa prestation est d’autant plus remarquable que ce n’est pas facile d’exister quand son partenaire de jeu prend une place si grande. Et l'on ne peut en vouloir à Damien Bonnard, lui-même impeccable, mais dont le rôle impose une exubérance risquant de ne pas laisser beaucoup de place aux autres interprètes.
Ainsi, certes, Les intranquilles met en scène un personnage qui dépasse le cadre, mais il ne saurait se réduire à son sujet. En sous-texte, le film interroge la norme imposée par la société et le contrôle social qui en découle. D’ailleurs, le fait que ce soit un des premiers longs-métrages tournés durant la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 ajoute une pierre à ce questionnement. Les scènes où les protagonistes se retrouvent en société, alors que jusqu’alors on ne les avait suivis que dans leur intimité, occasionnent un décalage intéressant. Quand les actes intempestifs de Damien les empêchent de prendre avec eux leurs masques, et que sa réaction plus que fantasque dans la boulangerie provoque un malaise, c’est aussi le regard des autres, et le cadre dans lequel sont inscrites nos interactions, qui est remis discrètement en question. Le film dresse aussi le portrait d’une certaine forme de marginalité, celle d’un artiste dont la pratique lui apporte autant d’anxiété que de reconnaissance, et qui ne sait pas gérer l’entre-deux.