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Troisième partie : rayonnement du maloya (3)
Ka Dance
Au second rang des musiques créoles qui ont su rayonner au-delà de leurs frontières, derrière le reggae, et d'un point de vue plus national, il y a le zouk. Comme le reggae, le zouk est la résultante aléatoire de la rencontre entre des esclaves et des colons en un point très précis du globe, les Petites Antilles françaises. Comme cela a été le cas avec le reggae, il aura suffi d'un seul groupe pour que le zouk s'impose en France métropolitaine et, dans une moindre mesure, dans le reste du monde, et ce groupe c'est Kassav.
Ce que vont réaliser Pierre-Édouard Décimus et Freddy Marshall, les fondateurs de Kassav, c'est inventer un nouveau genre musical, ni plus ni moins, en mêlant différents courants traditionnels et en les modernisant, y insufflant des sonorités funky et disco. Le tout va devenir le zouk, une musique dansante idéale pour accompagner les défilés de Carnaval. C'est flagrant dès le premier album, Love and Ka Dance, en 1979. Il y a une touche anglo-saxonne avec le mot « love », l'identité créole contenue dans « Ka Dance », et derrière, par un jeu d'homonymie, le mot français « cadence » qui évoque le rythme et la danse. Et cela se passe à la fin des années 70, au même moment que les tentatives similaires de Caméléon à La Réunion pour faire fusionner le jazz, le rock, et le maloya.
Racines
Il flotte à ce moment-là dans les DOM-TOM un désir généralisé de créer quelque chose de neuf tout en gardant vivantes les musiques originelles, de s'inventer une nouvelle identité à la croisée de plusieurs histoires. L'idée principale étant de sonner moins folklorique, moins world music, plus international, mais sans renoncer à son essence. Dans les deux cas, musicalement parlant, c'est une réussite. Quant à l'audience que cela aura, les trajectoires du zouk et du maloya divergent complètement.
Trajectoires divergentes
Au cours de la décennie suivante, le zouk va s'imposer en France métropolitaine de façon magistrale et hégémonique, sans laisser la moindre chance à une quelconque autre musique « exotique » de se faire entendre, en bombardant ses tubes dansants de l'été, ou de l'hiver d'ailleurs (« Noël, joyeux Noël, bons baisers de Fort-De-France »), calibrés pour les dancefloors. Le maloya-fusion de Caméléon et des autres productions de l'époque, plus rugueux, moins « kollé serré », ne parviendra pas à prendre sa place. Kassav montre en effet une vraie détermination à prendre d'assaut le marché métropolitain. Peut-être n'y avait-il pas assez de place au début des années 80 pour accueillir ces deux nouveaux courants musicaux... Face à la machine de guerre carénée comme jamais qu'est le zouk, le maloya ne fait clairement pas le poids. Et aujourd'hui encore, il ne semble toujours pas remis du combat.
Dans la foulée du succès immense de Kassav, les artistes antillais apparaissent les uns après les autres sur nos ondes radio et dans nos postes de télé. Des noms, des sons, des visages et des couleurs s'installent alors durablement dans notre mémoire collective : la Compagnie Créole, qui n'a de créole que le nom et mise tout sur un exotisme d'apparence avec ses tenues colorées, ses chansons positives, bonnes, bonnes pour le moral, en français, le zouk grivois de Frankie Vincent, dont le premier pseudonyme était Doc Porno, tout en délicatesse, vas-y Frankie c'est bon, un peu lourd parfois simplement. Tout le monde se met alors au zouk. Des artistes métropolitains collaborent avec les musiciens et les producteurs antillais pour livrer des chansons de variété aux sonorités ensoleillées. Dans l'ensemble, on se tient assez loin de l'intention première de Kassav. Les artistes antillais authentiques s'exportent beaucoup moins bien, les autres se perdent dans la variété foisonnante des années 80 et s'enlisent dans les frontières hexagonales. Kassav est encore le groupe qui s'en sort le mieux, le seul à percer à l'international.
Il n'empêche que tous ces noms nous évoquent encore quelque chose aujourd'hui. Il n'est pas question de qualités artistiques, d'ailleurs les scies restent souvent plus durablement dans nos mémoires, mais à un moment ou un autre ils ont compté. On s'est tellement fait matraquer la tête de « la musique dans la peau », « Célimène », « fruits de la passion » et autres « décalecatan, décalecatan, ohé, ohé » qu'on ne pourra plus jamais oublier. Caméléon ou Carrousel en revanche, les formations réunionnaises les plus ambitieuses, n'évoquent rien au grand public. C'est un fait. On ne peut qu'en prendre acte, au pire le déplorer.
Compromis
Un autre fait est particulièrement signifiant, et le constat est plutôt amer : pour parvenir à toucher le plus grand nombre il faut, sinon se compromettre ou se trahir, au moins se diluer et gommer quelques aspérités, arrondir les angles et le dos, renoncer à un peu de sa spécificité. Les exceptions sont très rares. C'est le côté obscur du succès immense, la face cachée. Pour convaincre une plus large audience, il faut être moins incisif et abandonner un peu de soi en chemin. C'est Bob Marley qu'on a fait sonner de façon plus mondiale, donc moins jamaïcaine. Quoi qu'il en soit, à quelque chose malheur est bon. Hisser Bob Marley en tête d'affiche a permis de faire connaître le reste de la production reggae. Le zouk a permis aux Antilles d'apparaître. On peut dès lors aller creuser derrière ces évidences pour découvrir les pépites cachées, telles les productions du même Bob Marley dix ans avant son succès planétaire par exemple, à l'époque de Studio One et de Lee Perry. Suivre le filon est une démarche que chacun peut entreprendre pour son propre compte. Cela s'applique aussi au maloya mais de façon moins évidente puisqu'il n'y a pas, le concernant, de partie émergée de l'iceberg, ou d'arbre cachant la forêt. Partir en quête du maloya relèverait de l'orpaillage plutôt que de l'exploration minière.
Merci à Eric Ausseil, orpailleur à ses heures.