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Composer avec les ombres

Composer avec les ombres

Publié le 23 mai 2023 Mis à jour le 23 mai 2023 Musique
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Composer avec les ombres

 

 

Troisième partie : rayonnement du maloya (9)

 

Reconnaissance

Au début des années 80, les tensions politiques se tassent. Les revendications indépendantistes s'atténuent en même temps que les pressions gouvernementales se calment. L'arrivée au pouvoir du Parti Socialiste en 1981 permet l'ouverture des ondes radio. Le Pôle Régional des Musiques Actuelles, PRMA, est créé à La Réunion en 1997. Il a pour vocation de soutenir les artistes locaux et de permettre leur diffusion en France métropolitaine et à l'étranger. Le label Takamba, se lance en parallèle dans une mission de sauvegarde du patrimoine musical du sud de l'Océan Indien, via des rééditions en CD d’œuvres oubliées.

En 2009, le maloya est inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Le tour du séga traditionnel mauricien vient en 2014. Ainsi ces deux courants qui sont en réalité, on le sait maintenant, plus ou moins la même chose tant dans le fond que dans la forme, font une entrée tardive dans l'espace sonore public. Le reggae jamaïcain n'a lui fait son entrée dans ce classement qu'en 2018. Quant au zouk, il faudra encore attendre.

En 2017, Parabolèr se hisse à la 63ème place du classement des 100 meilleurs albums français publié par les Inrockuptibles.

Cette reconnaissance est une bonne chose, même si elle implique un changement de taille, un de plus. En effet, le maloya n'a jamais été un spectacle. Il s'est toujours joué en petit comité lors de services kabaré, comme en famille, en catimini. C'est d'ailleurs ce qui lui a permis de survivre face à une répression de tous les instants. Il lui faut donc composer avec les nouvelles dimensions du public et de l'enregistrement. Le maloya vient des endroits cachés de l'île de La Réunion. Il surgit des montagnes et, par un effet de force centrifuge qui va de l'intérieur vers l'extérieur, du cœur au monde, il prend toute son ampleur. Il devrait encore parvenir à s'acquitter de ce changement d'échelle. La musique est chose assez souple pour s'adapter à tout sans pour autant renoncer à son identité, roseau plutôt que chêne donc.

À la longue, de rééditions en compilations, de reprises en hommages, le maloya fait entendre sa voix à la radio, montre son visage dans les magazines ou à la télé. À force de persévérance, il occupe son rang et gagne peu à peu en estime, il tient sa place au mérite. Aujourd'hui, même des labels étrangers estimés comme Strut s'intéressent à ce patrimoine, c'est un signe de bonne santé. À la longue... C'est toute son histoire qui se tient dans cette expression. Il a fallu de la patience. Il a fallu plier mais ne pas rompre, avec tout ce que cela a coûté d'endurance et de résistance. Clamer qu'on résiste c'est facile, le faire est plus compliqué. Le faire et avoir la délicatesse de se taire est encore plus classieux. C'est là toute l'élégance du maloya.

 

Toujours léger

Même s'il ne revendique aucun message politique, le maloya porte en lui la résistance au silence et à l'oppression. Le reggae est toujours en guerre contre Babylone, c'est son identité : « Stand up for your rights ». À aucun moment dans les chansons d'Alain Péters ou ailleurs on ne trouve de telles revendications. Il y a bien quelques titres qui parlent de l'esclavage comme Commandeur de Pierre Vidot, sur un texte de Jean Albany par exemple, mais rien de plus. Le maloya reste toujours léger dans son propos. Il a survécu à la censure et n'a nul besoin de le crier à chaque couplet. Le seul fait d'exister encore parle en sa faveur. Le reste ce ne sont que des mots. Il est profond tout en restant désinvolte. Il n'aboie pas. C'est là sa plus grande force, sa vraie nature.

Il n'y a pas eu de raz-de-marée maloya mais un océan stable, vague après vague, immuable, une vaste étendue d'eau profonde, qui dort mais dont il y a fort à craindre. La possibilité du danger est plus terrible que le danger lui-même. Le danger appartient au réel, et du réel on peut toujours se débrouiller. Il est plus délicat de composer avec les ombres tapies dans les recoins de l'imaginaire. Au bout du compte le maloya continue d'exister, fidèle à sa nature, rougeoyant comme de la lave en fusion qui gronde au centre de la terre, roule sa fureur sous l'écorce et perce parfois la carapace pour montrer son visage : volcan, magma, dragon, fournaise. Cela suffit.

 

Lui aussi compose avec les ombres, entre autres choses. Merci à Eric Ausseil.

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