Sans barrières, intouchable, démesuré
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Sans barrières, intouchable, démesuré
Le temps des métamorphoses (27)
Robinsonnade
Quand André Chan-Kam-Shu ferme les portes de l'ancien cinéma, la bande se dissout naturellement. C'est la fin de Caméléon, mais les musiciens ne perdent pas tout contact pour autant. Certains se retrouveront bientôt au sein d'un nouveau groupe. Ils ont démarré trop de choses ensemble pour s'arrêter en si bon chemin. Alain Péters en profite pour prendre du recul. Finies les nuits entières passées en studio à user et à abuser de l'alcool et du zamal. Finis les excès. Au mois de mars, il retourne vivre à Saint-Denis avec sa compagne Patricia Deveaux. Il se recentre sur sa vie de famille avec la naissance de sa fille :
C'est une période pendant laquelle il a complètement arrêté de boire. Il méditait beaucoup. Il lisait énormément de livres sur l'Hindouisme. (Patricia Deveaux).
Alain Péters laisse les excès derrière lui. Il va trouver de nouvelles voies plus salubres pour ouvrir son esprit et dérégler ses sens.
Une religion à soi
Il a de toute façon toujours été versé dans la spiritualité bien plus que dans la religion. C'est un électron bien trop libre pour supporter un tel appareil de rigueur, une telle machine à broyer les émotions. Il est catholique par son baptême et son éducation, croyant, et dans une certaine mesure pratiquant, mais, sans s'être détourné du Dieu des catholiques, il s'est ouvert à d'autres possibilités. C'est une conséquence de la mixité qui règne à La Réunion, où les différents cultes cohabitent, mais pas uniquement. C'est aussi parce qu'il est curieux et ouvert d'esprit. Il est donc allé voir du côté de Bouddha et du côté de Krishna. Ce sont ses propres mots. Il a beaucoup lu et s'est intéressé à la philosophie d'extrême-orient. Tous les gens qui l'ont côtoyé rapportent cette fascination pour la spiritualité en général, sans préférence pour l'une ou l'autre voie : ses amis, sa femme, sa famille. Par certains côtés, il est mystique et s'ouvre volontiers à la révélation. Cela se retrouve dans sa façon de créer et de penser son art.
Inspiration
Pierre Vidot, qui est une source d'information précieuse, a raconté au cours d'une discussion filmée avec Ananda-Dévi qu'Alain Péters partait parfois se promener puis rentrait en disant qu'il avait croisé un bouc derrière un arbre et que celui-ci lui avait soufflé une nouvelle chanson. Il n'avait plus alors qu'à retranscrire les paroles et la musique. Il fonctionnait ainsi, à l'état de grâce, au génie dans son sens chamanique, à l'inspiration divine. C'est une façon de procéder parmi d'autres. C'est celle d'Alain Péters et cela ne se discute pas. On peut douter de l'existence du bouc, bien entendu, mais pas de la chanson qui résulte de cette rencontre, fantasmée ou non.
Aimez-vous
Des grands commandements de l’Évangile, il a choisi de n'en reconnaître qu'un, dont d'après lui tous les autres découlent : l'amour. « Aime ton prochain comme toi-même », « aimez-vous les uns les autres ». Cet amour l'accompagne dans les bons comme dans les mauvais moments, même s'il ne peut pas le sauver. Il est vrai que d'autres forces s'affrontent dans son cœur de géant, des forces capables de tout dévaster, y compris par amour : l'intransigeance, le besoin d'absolu, l'insoumission à d'autres règles que celles de la création artistique, une grande tristesse aussi, de la lassitude parfois.
Un détour du côté de chez Nietzsche
L'esprit est élastique, il peut résister par des subterfuges à des tensions qui semblent inconciliables et en sortir, sinon indemne, sinon entier, sinon guéri, capable en tout cas de grande beauté. Ce qui ne nous tue pas peut nous briser et faire qu'on ne se relève jamais. On peut devenir plus résistant, plus dur peut-être, mais plus fragile aussi, comme un élastique détendu sur lequel on a trop tiré. Ce qui ne nous a pas tué net peut revenir et on le prend alors en pleine tête avec la même intensité, comme si c'était la première fois, aussi brutalement que si ce n'était jamais arrivé auparavant. Rien ne peut nous préparer à un tel impact, pas même le fait de l'avoir déjà éprouvé. Être mystique peut aussi bien nous élever que nous emmener très bas. Alain Péters en est une parfaite illustration, lui qui a touché à la grâce aussi bien qu'à l'abîme, à la fois ange et vagabond déchu, sans garde-fous, sans barrières, intouchable, démesuré.
Les illustrations sont s(o)ignées Eric Ausseil, merci.
Stéphane Hoegel il y a 2 ans
100% en accord avec ce que tu écris dans le dernier paragraphe au sujet de l'idée héritée de Nietzsche qui veut que "tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort".
Je lui ai toujours préféré ma version : "tout ce qui ne te tue pas... te tuera peut-être la prochaine fois".
Plus réaliste, à défaut d'être optimiste.
Benjamin Mimouni il y a 2 ans
J'aime bien ta version.
Prince Of Panodyssey Alias Alexandre Leforestier il y a 2 ans
Sublime !
Benjamin Mimouni il y a 2 ans
Merci !