Chanter quoi qu'il en coûte
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Chanter quoi qu'il en coûte
Deuxième partie : Mélodie vagabonde (26)
Cet instant privilégié passe très vite. Le plâtre ne peut pas le retenir longtemps, pas plus que le fauteuil. À peine quelques jours plus tard, il monte sur scène dans son fauteuil roulant, seul avec une guitare pour le concert des trente bougies du Groupe Folklorique de La Réunion au théâtre de Champ-Fleuri.
Les images de l'interview de Jean-Marie Félicité et celles du concert peuvent résumer à elles seules toute sa vie : Alain Péters est un homme blessé qui ne peut pas s'arrêter de faire partager sa musique. Cette passion dévastatrice est à la fois un don et une malédiction, un don parce qu'elle le maintient en vie, une malédiction car sans elle il aurait pu vivre une vie plus paisible. C'est un homme déchiré, et cette fêlure tragique le rend infiniment touchant. Il n'a pas le choix. Il doit chanter quoi qu'il en coûte.
Quand il joue Stairway To Heaven, il chante dans un anglais aux accents créoles qu'il a appris à l'école et surtout en écoutant des disques. Il chante comme il a fait de la musique toute sa vie, à l'oreille, sans jamais avoir appris ni le solfège ni la technique, avec le cœur plutôt qu'avec les mains. Il a bien dû jouer Stairway To Heaven un million de fois, dans sa chambre pour apprendre et se perfectionner, ou sur scène avec Pop Décadence, pour animer les bals et les soirées et faire vibrer les places des villes et des villages, ou bien encore rien que pour lui.
Quand il joue Bébett' coco, c'est en souvenir de son ami le poète Jean Albany, mort en 1984 à Paris, où il ne se sont pas croisés. Même amoindri, il continue d'habiter ses chansons et celles des autres. Quand il n'a pas de flûte, il siffle, quant il n'a pas de guitare il récite, faisant feu de tout bois, comme si cela devait durer toujours. Rien ne peut l'arrêter, cet ogre bienveillant, rond d'amour.
Merci à Eric Ausseil pour les illustrations.