Deuxième partie : Mélodie vagabonde (12)

Village Titan

En 1975, l'écrivain Alain Gili a fondé l'Association Des Écrivains Réunionnais (ADER) dans le but affiché de diffuser et de promouvoir les auteurs issus de l'Océan Indien. C'est dans ce cadre qu'il s'était naturellement impliqué dans la production de la cassette Chante Albany parue sur le label Diffusion Royale en 1978. Il poursuivra dans cette voie en 1992 en s'investissant personnellement dans le film documentaire de Jacques Barratier intitulé Mon île était le monde, consacré au même Jean Albany. Le média change encore une fois, mais l'ADER reste dans son domaine de compétence, à savoir la promotion littéraire.

En 1984, Alain Gili va une nouvelle fois sortir du champ proprement littéraire et renouveler l'expérience de la production musicale pour accompagner Alain Péters. Au même moment, une nouvelle association entre en scène. Il s'agit de Village Titan, créée en 1983 par Alain Séraphine dans le but de promouvoir la création artistique et culturelle à La Réunion, en proposant notamment des cours de dessin, de chant ou de danse. Cette association est basée au Port, dans l'ouest.

Premier album

Une fois de plus, Alain Gili et Alain Séraphine se retrouvent sur la route d'Alain Péters. Ces deux personnalités bienveillantes de la vie culturelle réunionnaise veulent à tout prix l'aider. Ils sentent bien qu'il est de plus en plus instable. Cela passera donc par la musique. Les séances d'enregistrement sont désormais bouclées, il faut leur trouver un débouché. Ils vont alors prendre contact avec Jean-Marie Pirot pour récupérer les bandes gravées à Saint-Gilles-les-Hauts dans le but de sortir un album. Ce sera Mangé pou le cœur, une cassette accompagnée d'un livret de 60 pages, une coédition ADER et Village Titan.

L'album paraît le 20 décembre 1984. c'est une date symbolique. Le 20 décembre est un jour férié à La Réunion, l'île commémore l'abolition de l'esclavage. C'est la fête de la liberté. C'est également un jour important pour l'association d'Alain Séraphine qui souffle sa première bougie. Pour l'occasion, Village Titan s'offre un cadeau spécial : le 45 tours Panier su la tête mi chanté/Romance pour un zézère. Pour une fois, Alain respecte le protocole : son album sort accompagné d'un deux titres. Ce n'est pas pour autant qu'il est décidé à rentrer dans le moule.

On ne peut que saluer l'effort collectif. L'ADER et Village Titan ont respecté leurs prérogatives à la lettre. Ils ont accompli le travail de préservation d'un patrimoine fragile et merveilleux qui a frôlé l'extinction. Sans Alain Gili, Alain Séraphine et Jean-Marie Pirot, on aurait pu ne plus jamais entendre parler d'Alain Péters. Il aurait disparu, tout simplement. Il a fallu plusieurs années pour en arriver là mais tout s'est passé sans contraintes, sans crises, facilement, à la cadence d'un homme. Ce qui était très important pour le chanteur, qui n'a pas eu à se contraindre, ni à aller à l'encontre de ses principes. Le résultat est une coulée musicale, une descente de lave bouillante qui se répand dans les corps, réchauffe les cœurs et réconforte.

Mangé pou le cœur est une pierre angulaire dans la courte discographie du chanteur. À lui seul cet album contient la moitié de son œuvre. Les dix titres qui le composent serviront de base à toutes les rééditions à venir : Parabolèr en 1998, Vavanguèr en 2008 et Rest' la maloya en 2015.

Merci à Eric Ausseil, mon accompagnateur dans cette histoire.