Illégal
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Troisième partie : rayonnement du maloya (8)
Maloya illégal !
Sans avoir réellement échoué, le séga n'est jamais parvenu à se tailler une place durable auprès du public de métropole, mais il a au moins eu la possibilité d'essayer, ce qui n'a jamais été le cas du maloya. Dès le départ il a été frappé d'interdiction, muselé : maloya illégal !
Ce manque de réussite est en partie dû à la distance. Les Mascareignes, l'archipel principalement constitué de Rodrigues, Maurice et La Réunion, où sont nés le séga et le maloya, se situent à près de 9000 kilomètres de la France métropolitaine. Les Antilles et la Jamaïque sont elles aussi très loin de l'Europe, respectivement 7000 et 7500 kilomètres, mais il n'y a qu'un océan à traverser. Les Mascareignes sont coincées derrière l'Afrique. C'est tout un continent qui fait écran. Historiquement, cela a toujours été une contrainte. C'est pour cette raison que La Réunion est restée longtemps inoccupée, voire délaissée, et qu'il a été si difficile d'y abolir l'esclavage. À la distance s'ajoute aussi les difficultés d'accès : les montagnes, le littoral accidenté, le volcan. Dès le départ, la donne était faussée. Le mauvais pli était pris. Il lui a fallu du temps pour rattraper ce retard considérable. Cela a moins d'importance aujourd'hui puisque l'éloignement a été comblé par les avancées techniques, mais les échanges ont été si longtemps ralentis que les labels mauriciens et réunionnais en ont pâti : il leur était difficile d'alimenter le marché européen. Mais l'éloignement et la concurrence du zouk ne sont que des excuses. La vraie raison qui a empêché le maloya de se diffuser est la censure. Par ricochet, le séga en a aussi subi les conséquences. La censure frappant le maloya a fait de lui un dommage collatéral. Il n'était pas visé mais a été jeté avec l'eau du bain. Les rares morceaux qui sont parvenus à passer entre les mailles du filet pendant ces années d'interdiction ne pouvaient pas suffire à faire véritablement entendre le séga. Il aurait fallu plus de régularité dans la diffusion, et plus d'attention d'autre part.
Cessez le feu
L'interdiction de jouer le maloya est levée en 1982. Que de temps perdu avant de pouvoir faire entendre sa voix sur son propre sol puis au-delà ! En 1982, Bob Marley avait déjà eu le temps de remporter l'adhésion du monde entier et de disparaître. Gainsbourg avait déjà enregistré ses deux albums reggae : Aux armes etc, son plus grand succès commercial, et Mauvaises nouvelles des étoiles. Le zouk enfonçait déjà les portes de nos discothèques. Les musiciens réunionnais commençaient juste leurs balances. Impossible de combler un tel retard, d'autant que le maloya était au plus mal, comme lessivé, usé par le combat, et qu'il rendait les armes. Alain Péters se murait peu à peu dans le silence. Le Carrousel s'arrêtait.
Est-ce que sans cette censure le maloya aurait pu connaître un succès équivalent ? C'est loin d'être sûr. Le zouk était calibré pour prendre d'assaut les dancefloors et les ondes sans faire de quartiers, véritable rouleau-compresseur, machine à danser, le sens de la fête chevillé au corps. Le reggae a dû renoncer à une part de son identité, de son authenticité pour marcher aussi fort. Le son d'origine a été quelque peu modifié. Si ce n'est pas une trahison, cela reste un compromis. Du fait de son histoire souterraine et interdite, le maloya est resté inchangé, brut dans sa forme. C'était sa seule chance de perdurer. Son vrai visage est celui de la résistance. Par conséquent, le monde ne l'a pas changé. Il ne l'a pas impacté. La censure l'a préservé en quelque sorte. Il a ainsi pu évoluer naturellement de l'intérieur, sans contrainte.
La vie d'Alain Péters raconte cette histoire, celle de la redécouverte des racines et de la fusion.
Merci à Eric Ausseil, pour les illustrations.