Sitcom (1998) François Ozon
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Sitcom (1998) François Ozon
Le charme indiscret de la bourgeoisie
Lorsqu’il prépare Sitcom, François Ozon a un peu moins de 30 ans. S’il fréquente les milieux cinématographiques depuis longtemps, c’est à la fin de son diplôme à la Femis qu’il va se diriger vers la réalisation. Durant une dizaine d’années, il va se faire la main avec des court-métrages, souvent sélectionnés dans des festivals. Une robe d'été, qui a pour thème principal la bisexualité et qui met déjà en scène Lucia Sanchez, contient notamment une scène qui va devenir culte avec la reprise de Bang bang par Sheila, et obtiendra le César du meilleur court-métrage de fiction. L’année d’après, Ozon se lance donc dans son premier long-métrage, dont le casting révèle déjà quelques clins d'œil, comme par exemple la figure de Jean Douchet dans le rôle du psychothérapeute. Il donne l’un des rôles principaux à Stéphane Rideau, qui quatre ans auparavant interprétait le jeune Serge dans Les Roseaux sauvages d’André Téchiné, et un autre à Marina de Van, qui était déjà dans Regarde la mer et par la suite deviendra une de ses fidèles collaboratrices.
Un rideau de théâtre s’ouvre sur un hôtel particulier, où un père de famille rentre chez lui après le travail. On entend de l’extérieur toute sa famille lui souhaiter un bon anniversaire avant que ne retentissent des coups de feu. Quelques mois plus tôt, la maîtresse de maison accueillait la nouvelle femme de ménage, Maria, d’origine espagnole, qui s’excuse d’interrompre le repas que la mère partageait avec son mari, son fils Nicolas et sa fille Sophie. Elle lui fait visiter la maison puis reçoit le coup de téléphone d’une de ses amies, qui lui annonce qu’elle ne pourra pas venir dîner chez eux. Décontenancée, elle propose alors à sa Maria de la remplacer. Sonne alors à la porte David, le petit ami de Sophie, qui l’accueille en l’embrassant goulument, sous l’œil ébahi de Nicolas, qui feuillette une revue scientifique. Montés dans la chambre de Sophie, les deux adolescents continuent leur parade amoureuse quand leur père rentre du travail, apportant avec lui une surprise qu’il veut montrer à tout le monde.
Son titre parle pour lui-même : Sitcom a pour ambition d’évoquer un genre télévisuel très en vogue dans les années 1990. La déferlante AB Productions est en fin de course lorsque le film de François Ozon se propose de traiter avec dérision ce petit monde bien policé. Il situe son film dans une demeure qui pourrait tout-à-fait trouver sa place dans un Maguy, et ses personnages d’adolescents aux prénoms très banals pourrait en début de film côtoyer Hélène et les garçons. Sauf que très vite Ozon choisit le décalage, offrant à ses personnages un bon nombre de vices même pas cachés. Il pousse d’ailleurs le pas de côté en faisant assumer par l’ensemble des personnages les paraphilies diverses et variés qui nous sont présentées. Le renversement des valeurs est au travail, et se poursuivra jusqu’à la scène finale. En sous-texte, ce que le réalisateur interroge, c’est la norme qu’une société impose, et combien les carcans peuvent aliéner les personnes.
En ceci, Sitcom tient énormément, en plus de son clin d'oeil au Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel, de sa figure tutélaire, presque trop imposante par son évidence, qu’est le Théorème de Pier Paolo Pasolini. L’intrus n’est ici pas un beau jeune homme sur lequel les passions vont se projeter mais un rat de laboratoire, dont la mère de famille bourgeoise prévoit inconsciemment dès son arrivée les potentielles néfastes influences qu’il pourrait avoir sur sa maisonnée. Mais là où Pasolini intellectualisait et politisait les rapports qu’entretenait la société de 1968 avec la religion, François Ozon se propose de porter un regard caustique sur le modèle familial conservateur. D’aucuns lui reprocheront d’ailleurs de ne pas aller assez loin, et de ne proposer qu’une satire de façade, qui enchaînerait les poncifs de l’irrévérence sans vraiment pousser le bouchon très loin. Il faut dire que les personnages du film engrènent les pratiques sexuelles qui diffèrent de la norme, du sadomasochisme à la partouze en passant par l’inceste ou la pédophilie.
Le message de Sitcom serait peut-être justement à chercher du côté du traitement apporté par le film. L’un des premiers effets occasionnés par l’irruption de l’étranger dans cette famille est le coming-out du fils. A posteriori, lui-même dira qu’il ne l’a pas vu venir, et ce non-événement ne sera considéré comme un drame que par la mère qui, comme une drama-queen, réagit de façon outrancière à l’annonce. Par la suite, l’homosexualité ne sera qu’un des divers enjeux du film, certes traité de façon excessive via cette scène d’orgie surréaliste, mais qui ne suscitera pas de drame outre mesure. Or, les figures de l’homosexuel dans le cinéma français étaient alors marquées par le sceau de l’invisibilité ou de la tragédie. L’épidémie de sida accaparait les écrans, le garçon homo se devait de mal vivre son orientation sexuelle et la lesbienne était quasiment inexistante. Le propos de François Ozon semble ici, pour une fois, de décomplexer le sujet, de déculpabiliser le spectateur et de lui apposer un traitement humoristique bienvenu.