Les sentiers de l’oubli (2021) Nicol Ruiz Benavides
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Les sentiers de l’oubli (2021) Nicol Ruiz Benavides
Vivre libre, c’est souvent vivre seul
Pour son premier film, Nicol Ruiz Benavides choisit de situer l’action dans sa ville natale de Lautaro, dans le sud du Chili. Dans son pays, elle est connue pour avoir réalisé une grande partie des épisodes de la série Los Carcamales, qui s’apparente à une novellas, et qui raconte l’histoire d’une bande de plusieurs personnes âgées se rebellant contre le système. D’ailleurs l’héroïne des Sentiers de l’oubli est une femme de 70 ans qui va petit à petit gagner un peu de la liberté qu’elle n’a jamais connue. C’est une actrice de théâtre, Rosa Ramírez Ríos, qui l’incarne de façon subtile, décrochant lors du Festival Chéries Chéris le prix d’interprétation. Auparavant, le film avait écumé divers festivals LGBTQI à travers la planète, obtenant déjà quelques autres récompenses par-ci par-là. Du reste, au Chili, on voit de plus en plus de jeunes réalisateurs, qui se réclament ou pas des incontournables Alejandro Jodorowsky et Patricio Guzmán : on peut citer par exemple Sebastián Lelio, Pablo Larraín ou Sebastián Silva.
Aveuglée par les lumières d’une ambulance, Claudina écoute les secouristes lui annoncer que son mari vient de mourir. Elle accuse le coup difficilement, se rangeant dans sa solitude, ayant du mal à trouver le sommeil et ne sachant plus quoi faire de ses journées. Alors qu’elle se rend compte qu’elle doit acheter du pain, elle tente de faire fonctionner la voiture mais n’y parvient pas. Elle marche alors jusqu’à la ville et sa fille Alejandra la retrouve assise sur un banc, en plein milieu d’une place. Elle lui dit qu’elle n’avait pas son portefeuille sur elle et elles rentrent ensemble. Son petit-fils Cristóban se montre ravi de la retrouver, même si Alejandra s’inquiète pour les finances de sa mère, craignant de devoir l’héberger, ce qui finit par arriver. Le jour de son emménagement, Claudina croise une voisine, Elsa, qui ne tarde pas à lui parler. Seule elle aussi, elle est contente d’avoir un peu de compagnie tandis que son mari est parti en voyage d’affaires.
L’histoire des Sentiers de l’oubli est donc celle d’une femme, qui, après le décès de son mari, réapprend à vivre. Elle s’est mariée jeune, et malgré une pochade d’adolescente n’a jamais vraiment connu l’amour. C’est auprès d’une femme de son âge qu’elle va ressentir soudainement des émotions et commencer à gagner cette liberté qu’elle avait toutes ces années refoulée. Rosa Ramírez Ríos porte le film, on la voit pratiquement dans chacune des scène et elle parvient à capter la caméra de façon très naturelle. La palette de ses émotions crève l’écran, parvenant à nous transmettre la profonde tristesse du deuil comme la surprise de nouveaux émois et la tendresse d’un coup de cœur naissant. On est d’autant plus touché de voir cette femme d’âge mûr gagner en confiance et apprendre tout doucement à prendre soin d’elle. C’est sans compter l’univers oppressant d’une petite ville de province, où tout le monde s’épie.
Car c’est aussi ce que raconte Les sentiers de l’oubli, le cadre étouffant d’une communauté, où la religion tient une place prépondérante et où l’on n’a pas beaucoup de choix. En cela, le film est un témoignage sur le Chili rural, qui ne laisse visiblement que peu de place à des marginaux. Le personnage d’Ambrosia, qui a créé cet espace de liberté où il permet à celles et ceux qui le souhaitent de vivre pleinement leur différence, est à ce titre très justement brossé et apporte une touche de poésie, un peu amère mais tout à fait vivifiante. Il se trouve que la situation des personnes LGBT au Chili est assez atypique, puisque depuis les avancées sociales effectuées durant les mandatures de Michelle Bachelet et sa promesse d’instaurer un mariage pour les couples de même sexe, le projet est bloqué par le Sénat. On peut facilement imaginer que si le pays est parmi les plus tolérants d’Amérique latine sur ses sujets, la situation n’est sans doute pas la même dans les villes ou dans les campagnes.
La signature des Sentiers de l’oubli est aussi sa mise en scène. Nicol Ruiz Benavides apporte énormément de finesse dans la façon qu’elle a d’introduire les personnages et les situations. Elle ne regarde jamais les protagonistes des actions de haut, parvenant à nous faire comprendre en un simple mouvement de caméra les dilemmes auxquels ils sont confrontés. Elle n’a aucunement besoin d’appuyer sur une touche mélodramatique trop pesante et, en ne faisant que suggérer, arrive très habilement à nous faire appréhender les enjeux. La photographie du film, toute en douceur, nous emmène dans ces paysages exotiques tout en n’étant jamais cliché, tandis que la musique originale ainsi que les choix de la bande originale sont tout à fait entraînants. On sort de la vision du film en ayant ressentant de nombreuses émotions, et en ayant le plaisir d’avoir vu le parcours initiatique d’une femme qui n’est certainement plus une adolescente, ce qui n’est pas si banal.