Le château de l'araignée (1957) Akira Kurosawa
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Le château de l'araignée (1957) Akira Kurosawa
Quand théâtres élisabéthains et Nô se rejoignent
Passionné par le théâtre de William Shakespeare, le grand Akira Kurosawa ne pouvait manquer d’adapter l’une des pièces maîtresse du maître anglo-saxon, à savoir Macbeth. Oui mais comment se distinguer ? Et surtout comment le rendre plus accessible au public japonais ? C’est là que lui vint la brillante idée de mêler à l’intrigue classique une mise en scène empruntée au théâtre Nô, cet art lyrique très codifié qui mêle musique, danse et poésie. Si Kurosawa n’utilise pas ces trois expédients, il n’en garde pas moins dans ce Château de l'araignée quelques uns des usages de l’ancien art nippon. Le tournage est compliqué, le réalisateur souhaitant mponter le décor sur les pentes du mont Fuji, afin d'obtenir un résultat visuel optimal, en particulier vis-à-vis du brouillard, essentiel à l'intrigue, mais qui rendit les conditions de travail difficiles.
Le général Washizu, après une brillante victoire, se perd dans une forêt avec son fidèle compagnon, le général Miki. Il se voit prophétiser un grand destin par un esprit, qui lui promet qu'il deviendra commandant de la baronnie du Nord et seigneur du Château de l'araignée. Seulement, Miki se voit prédire un plus grand destin, tout du moins pour sa descendance, qui lui succèderont. L'esprir lui dit aussi qu'il n'aura pas de problème « tant que la forêt ne sera pas en marche ». Enfer et damnation, Washizu doit-il croire ces prophéties en partie funestes ? Et pourquoi sa félonne d’épouse, Asaji, lui susurre-t-elle à l’oreille ce que dans son for intérieur lui-même n’ose pas s’avouer ? Elle lui confie en effet que la seule solution de s'en sortir serait de se débarrasser à tout jamais de Miki et de son fils.
Ainsi la trame de la pièce originale est-elle fidèlement reprise dans Le château de l'araignée. Akira Kurosawa se permet de n'omettre ou de ne modifier que certains passages qui ne relèvent pas du cœur même de l’intrigue, ou de les adapter pour le public asiatique ou pour le contexte dans lequel il plonge ses personnages. Il modifie toutefois le sens de l'œuvre, en particulier à la fin du film où le regard sur le protagoniste principal n'est pas le même. De même, l'esprit de la forêt incarne-t-il un élément bouddhiste fondamental, apportant un message humaniste cher au cinéaste. Mais comme dans la pièce, le personnage le plus fascinant est ici aussi Asaji, l’épouse de Washizu. C’est elle l’incarnation du mal, celle qui poussera le héros brave mais par trop influençable du début à une déchéance fatale.
C’est Isuzu Yamada, une des plus grandes actrices japonaises de l’époque, et qui a aussi tourné pour Kenji Mizoguchi, Mikio Naruse ou Yasujirō Ozu, qui l’interprète. Son visage blanc sans expression et sa démarche spectrale, empreints au théâtre Nô, marquent fortement l’esprit du spectateur. L’immense Toshirô Mifune, fidèle parmi les fidèles d'Akira Kurosawa, incarne quant à lui Washizu. On voit sur son visage toute la gamme d’émotion qui traversent le personnage comme les insanes pensées lui viennent petit à petit, l’amenant tout doucement vers la folie. La mise en scène du Château de l'araignée est, une fois de plus chez Kurosawa, prodigieuse, parvenant par ses effets à mettre en image habilement les errements et les erreurs des personnages, qui les conduiront à leur chute.
Les séquences qui se déroulent dans le château sont en particulier exemplaires, la grandeur des pièces et leur profondeur mettant parfaitement en exergue le vide intérieur du protagoniste. La scène de banquet où il voit le fantôme de Miki se joindre aux convives et à ce titre prodigieuse d’intensité et de tension. Que ce soient les décors, les costumes ou la photographie, rien n'est à jeter dans le film. À n’en pas douter, la vieille querelle qui opposait à la sortie du film Les cahiers du cinéma et Positif est vraiment obsolète, et les critiques de l'époque, qui comparaient le film à du Grand-Guignol se trompaient largement. Oui, Le château de l’araignée est un grand film, l’un des meilleurs de son auteur diront même certains, ce qui n'est pas rien si l'on considère l'exceptionnelle filmographie d'Akira Kurosawa.