L'homme blessé (1983) Patrice Chéreau
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L'homme blessé (1983) Patrice Chéreau
C'est (pas) bien gay tout ça
Même si c'est déjà la troisième réalisation de Patrice Chéreau, lui-même considère L'homme blessé comme sa vraie naissance au cinéma. Il faut dire qu'il s'est beaucoup investi dans le projet, commençant l'écriture du scénario dès 1977 avec l'écrivain Hervé Guibert. Il reconnaît d'ailleurs se retrouver beaucoup dans cet adolescent qui se cherche « même si je n'ai pas vécu la moitié de ce qui arrive au personnage » (dixit Chéreau). Le metteur en scène, qui dirige à cette époque, avec Catherine Tasca, le Théâtre Nanterre-Amandiers, bénéficie de trois assistants réalisateurs : Ronald Chammah, époux d’Isabelle Huppert, Serge Meynard et Pierre Romans. Provoquant un petit scandale lors de sa présentation en Sélection officielle au Festival de Cannes, le film reçoit par la suite le César du scénario original.
Le parcours d'Henri, fils d'un ouvrier d'origine polonaise, n’est pas franchement drôle, et ses premiers apprentissages amoureux vont se faire dans le chaos. Fuyant comme la peste une ambiance familiale complètement sclérosée, ce jeune homme plein de fougue a besoin de quelque chose ; oui mais quoi ? Partir en vacances, bof. Profitant du départ de sa sœur, qui quitte le cocon familial, il rencontre un beau trentenaire qui lui propose de boire un verre. C’est ainsi qu’il fait la rencontre de Jean, proxénète de son état qui lui propose un peu plus tard de frapper un client consentant. Il va être irrésistiblement attiré par lui et se laisser entraîner dans la faune un peu bizarroïde qui traîne dans la gare du Nord. Commence alors une plongée dans les bas-fonds de ce quartier, où la passion se mélange à l’obsession, la violence et les premiers émois.
Si L'homme blessé prend aux tripes c'est par sa violence radicale et son refus de toute concession : glauque à souhait, il décrit sans pathos mais non sans passion la relation d'attirance et de répulsion mutuelle qui unit Henri et Jean, sorte d'initiateur mi-ange mi-démon aux fréquentations interlopes. Une des qualités du film est de ne pas insister lourdement, même si c'est un de ses sujets essentiels, sur le caractère homosexuel de la relation entre ces deux-là : ce qui intéresse avant tout Patrice Chéreau est le trouble que ressent le personnage principal et sa fureur de vie toute juvénile. Ainsi le reproche que l’on a pu faire au long-métrage, de dépeindre de façon négative une orientation sexuelle marginale, n’est pas vraiment pertinent. C’est la relation de domination, rendue encore plus troublante par la différence d’âge, qui interpelle le spectateur.
Et c'est à Jean-Hugues Anglade que revient le lourd rôle d'incarner ce quasi double cinématographique du réalisateur. L'acteur est ainsi révélé au grand public dans L'homme blessé, et il sera nommé pour son rôle au César du meilleur espoir masculin. Saisissant de naturel, il réussit à montrer très justement les faiblesses et le désarroi d’un personnage en proie à des émotions contradictoires et passionnelles. Pour un premier grand rôle c'est assez épatant, d'autant que vu son âge à l'époque (28 ans), il n'était pas forcément évident qu'il soit convaincant dans la peau d'un adolescent. À ses côtés, Vittorio Mezzogiorno poursuit sa carrière française, entamée avec La Lune dans le caniveau, de Jean-Jacques Beineix. Il y partageait d’ailleurs l’affiche avec Gérard Depardieu, qui le double ici, tandis que quelques années plus tard Beineix offrira à Anglade le fameux rôle de Zorg dans 37°2 le matin.
On peut en outre noter que le film possède des seconds rôles très justes, à commencer par celui de Roland Bertin. Si on a vu ce sociétaire honoraire de la Comédie-Française dans de nombreuses pièces dirigées par Patrice Chéreau, c’est surtout un autre second rôle, celui du fidèle Ragueneau dans Cyrano de Bergerac, qui assurera sa notoriété auprès du grand public. On peut aussi y voir un couple, un peu improbable a priori, mais impeccable, de parents dépassés par les événements. Il s'agit d’Annick Alane, elle aussi souvent distinguée au théâtre, et Armin Müller-Stahl, dont la carrière internationale force le respect. Vivement critiqué lors de sa sortie, L'homme blessé est certes sulfureux mais ne se réduit pas à ce qualificatif trop simpliste. Patrice Chéreau y pose déjà les jalons de sa filmographie future, faite de passion et de larmes, de bruit et de fureur.