Urief, mon ami
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Urief, mon ami
Le grand guerrier Urief ne pouvait être mort. Lui qui avait foulé des milliers de champs de bataille. Qui avait repoussé l’ennemi hors de nos frontières tant de fois. Qui avait sauvé nos misérables vies si souvent… Il avait rendu son dernier souffle lors d’un combat contre la sorcière noire, Yriule.
Urief était un étrange personnage. Un combattant hors pair. Un chevalier solitaire. Il se mélangeait très rarement à nous, pauvres gens. Il préférait la compagnie des arbres, chevauchant de village en village sur son fidèle destrier. Au fil des années, il était devenu une légende. Le héros des histoires des ménestrels de la contée. Personne ne savait si tout ce qui se racontait était vrai. S’il avait réellement tué l’hydre qui terrorisait les peuples du Nord. S’il avait vraiment vaincu le seigneur Dravic, monstre sanguinaire qui se nourrissait de jeune vierge à chaque pleine lune, au Sud de nos terres. Ou encore, s’il avait bel et bien réduit en cendres le nid de banshee qui terrifiait les paysans à l’Est.
Mais les bardes étaient catégoriques : le valeureux soldat était tombé. Il avait failli à sa mission. Jamais il n’aurait dû s’attaquer seul à Yriule. Grande magicienne, elle aurait fait un pacte avec les Ténèbres. C’est de là qu’elle détenait son pouvoir…, du Prince Sombre lui-même. On disait d’elle qu’elle était aussi belle que le jour de ses vingt ans, qu’elle envoûtait tout homme qui osait la regarder dans les yeux pour se nourrir de sa force vitale.
Je ne pouvais y croire. Urief n’avait pu se laisser ensorceler. C’était impensable. Nombreux sont ceux qui se moquent de moi. Je ne suis qu’une pauvre serveuse dans une taverne immonde que tous prennent pour une folle. Mais je connaissais Urief. Nous avions grandi ensemble, il y a de cela une éternité. Il était sage et courageux. J’étais irréfléchie et intrépide. Je nous embarquais dans des histoires invraisemblables et lui me sauvait la mise chaque fois… et puis nous avons grandi. Contrainte par mes parents, je n’ai eu d’autres choix que d’accepter mon misérable destin. Quant à Urief, il disparut sans un au revoir. Emportant avec lui tous mes espoirs d’une autre vie.
Plus rien ne me retenait dans ce village d’ivrognes. Voilà pourquoi, un soir de tempête, j’avais fait mon sac et pris la route pour retrouver mon vieil ami. Un voyage fastidieux semé d’embûches, mais il m’était impossible de me résigner à ajouter foi à tous ces mensonges. Il ne me fallut pas moins de trois ans avant de localiser le repère de cette abominable bonne femme. Au cœur d’une forêt lugubre, près d’une source cristalline, se dressaient les restes calcinés d’une vieille bicoque. Parmi les cendres, quelques ossements, de vieux livres brûles, mais rien qui ne puisse me permettre de comprendre ce qu’il s’était réellement passé ici… Il n’y avait rien à trouver en ces lieux hantés.
Je m’éloignais, prenant la direction du village le plus proche quand j'entendis un bruit étrange. Un grognement étouffé semblable à un ronflement. Je n’étais pas seule. Doucement, je m’approchai d'où provenait le son. J’aperçus alors une lame merveilleuse, plantée entre les racines d’un immense arbre. L’épée d’Urief ! La dernière forgée par son père. Son unique trésor. À aucun prix, il ne s’en serait séparé. Les troubadours de la contée disaient vrai ?
Soudain, un monstre sortit de l’eau et vint vers moi. Un cadavre en putrescence au corps décharné couvert de lambeaux de tissus. Un regard hagard et bête. Celui qui, jadis, pétillait de vie et d’intelligence. Urief… il n’était pas mort, sans être pour autant vivant. Sous le joug d’un sort épouvantable de la sorcière.