Une séparation (2011) Asghar Farhadi
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Une séparation (2011) Asghar Farhadi
Radioscopie d’une société déchirée
Avec Une séparation, Asghar Farhadi décrocha en 2011 l’Ours d‘Or du Festival de Berlin, tandis que toutes les actrices et tous les acteurs du films étaient également récompensés. On a soupçonné la présidente du festival, Isabella Rossellini, d’avoir voulu promouvoir par ces prix le cinéma iranien. Il faut dire qu’on avait proposé à Jahar Panahi de faire partie du jury de ce même festival et qu’une chaise vide symbolisait son absence durant tout la cérémonie. Le cinéaste a en effet été condamné à six ans de prison et vingt ans d’interdiction d’exercer son métier. Mais ce fâcheux et minuscule scandale a fait oublier le fait que Farhadi n’en était alors pas à son premier coup d’éclat : il avait reçu en 2009 le prix du meilleur réalisateur à la Berlinale. De toutes façons, le visionnage d’Une séparation met tout le monde d’accord sur la justification du prix qu’il a reçu.
Devant un juge de Téhéran, Nader et Simin, un couple appartenant visiblement à la classe moyenne de la société iranienne, demandent le divorce après 14 ans de mariage. Enfin, c’est surtout elle qui veut se séparer de son époux : ils avaient prévu de longue date de quitter l’Iran et à la dernière minute, alors qu’ils ont tous leurs papiers, Nader refuse de partir. Il ne veut pas quitter son père, atteint de la maladie d’Alzheimer, tandis que Simin voudrait tout quitter pour assurer l’avenir de sa fille. Le juge ne pouvant, ou ne voulant pas les départager, ils conviennent d’une séparation : Simin ira vivre chez ses parents et Nader doit alors trouver une personne pour s’occuper de son père durant la journée. Par l’intermédiaire d’une de ses connaissances, Simin conseille Razieh, jeune mère de famille dont le mari est au chômage, et elle fait l’affaire.
La mise en scène d‘Une séparation est absolument épatante, simple et efficace. La caméra d’Asghar Farhadi filme avec une fluidité impeccable les remous que subissent tous les protagonistes de l’affaire. Le spectateur est amené à approfondir petit à petit toutes les intrigues, essentielles à la découverte de la vérité, et apprend à connaître chacun des personnages individuellement et avec une neutralité totale. Un excellent montage, qui met en perspective de nombreux éléments, pas toujours dans l'ordre mais tous aussi pertinents les uns que les autres, nous montre les faits tels qu’ils se sont produits. Et le réalisateur a le bon goût de s’arrêter exactement au bon endroit, histoire de ne pas trop nous en dire et de préserver ainsi notre libre arbitre, laissant au spectateur la possibilité de s'approprier son œuvre.
Car c’est nous qui sommes appelés, en même temps que le juge qui détricote cette histoire, à comprendre ce qu’il s’est réellement passé et à séparer le vrai du faux. Ce qui est totalement illusoire et un très bon scénario nous le fait bien comprendre : nous sommes ici dans un monde tout sauf manichéen, où chacun détient sa part de vérité et de mensonges. Ce que réussit également habilement Une séparation, c‘est de nous présenter une image de l‘Iran moderne, une république théocratique islamique en proie à ses divisions sociales. Car là, même si ce thème est omniprésent, régissant la vie quotidienne des habitants, ce n’est pas tant la religion qui fait le clivage entre les deux famille. L’une des femmes a beau être musulmane pratiquante, un brin soumise à son mari, et l’autre plus émancipée, ces détails ne sont là que pour poser les personnages.
Ce qui divise avant tout les deux clans d'Une séparation, refermés chacun sur eux-mêmes, c’est l’argent et la classe sociale, avant la religion ou les considérations politiques. Nous sommes en présence d’individus, incarnés par des interprètes absolument fabuleux, qui ne se comprennent pas en grande partie car ils ne viennent pas du même milieu, et qu’ils ne cherchent pas, pour la plupart d’entre eux à aller vers l’autre. Ils n’en restent pas moins des maris, des femmes, des parents et à ce petit jeu ce sont les enfants qui trinquent, et les couples qui encaissent. Le diagnostic est cinglant, c'est en quelque sort à la fin de l'innocence qu'Asghar Farhadi nous convie, et ce d'une fort belle manière, tant la proposition artistique qu'il nous présente ici est plus que convaincante.