Mauvais sang (1986) Leos Carax
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Mauvais sang (1986) Leos Carax
Amour impossible sur fond de chantage pharmaceutique
On peut dire que Mauvais sang est un film daté, mais pas dans le mauvais sens du terme. Le film s'inscrit dans son époque, le milieu des années 1980. Un temps où les métros avaient encore deux classes, où les numéros de téléphone avaient huit chiffres. Le virus du SIDA était alors une épidémie éminemment dévastatrice et la comète de Halley s’approchait dangereusement de la Terre. Cette année là, Julie Delpy était une toute jeune actrice et Juliette Binoche sortait d’un Rendez-vous avec André Téchiné. C'était le deuxième film de Leos Carax et on lui promettait une carrière exemplaire. Et puis Les amants du pont neuf sont passés par-là et ont tout emporté avec eux.
Un homme, Jean, se suicide sur un quai du métro parisien. Quand il l'apprend, Marc s'inquiète : il avait préparé avec lui un coup qui était censé rembourser ses dettes contractées auprès de l'Américaine. Son associé, Hans, lui rappelle que Jean avait un fils, Alex, surnommé « langue pendue » : ils l'ont vu pour la dernière fois dix ans auparavant, dans la forêt de Rambouillet. Et justement c'est là qu’Alex se trouve, avec sa petite amie, Lise. Celle-ci l'aime beaucoup, peut-être plus que lui, et ça lui fait un peu peur. Quand Marc le contacte, Alex décide de profiter de l'occasion pour tout quitter et commencer une nouvelle vie ailleurs.
Drôle de film que ce Mauvais sang, qui commence sur les chapeaux de roue, s'essouffle puis reprend un rythme d'enfer à la fin. Un film qui perd son sujet en cours de route, qui commence comme un polar stylisé, se transforme en mélodrame lyrique puis se termine en tragédie. Un film de Leos Carax en somme, indéfinissable et pourtant plein de charme et de maîtrise formelle. Car c'est une œuvre très référencée, avec des passages en noir et blanc, fulgurants, évoquant le cinéma de Friedrich Wilhelm Murnau, et des plans nous plongeant quasiment dans un film américain des années 1940 (on sent indistinctement poindre l'ombre d'un Alfred Hitchcock).
La mise en scène de Leos Carax est stylisée, il trouve des angles de caméra improbables, réussit à marier parfaitement les images et la musique. Ainsi on peut trouver dans Mauvais sang de superbes séquences avec des morceaux de Benjamin Britten ou de Serguei Prokofiev, sans oublier la magnifique scène illustrée par le Modern love de David Bowie (et reprise quasiment à l'identique dans Frances Ha de Noah Baumbach. Et le réalisateur de très bien tirer partie de ses actrices et de ses acteurs. Car le casting, voilà un atout indéniable de ce film. Nous y retrouvons bien sûr Denis Lavant, le Jean-Pierre Léaud de Leos Carax. Il s'y montre à la fois mûr et innocent, l'incarnation de la jeunesse et pourtant déjà cabossé.
À ses côtés, Juliette Binoche est charmante, lumineuse, et Michel Piccoli nous offre une prestation une fois de plus impeccable. De ce débordement d’émotions, de cette vie qui transperce toutes les images de Mauvais sang, on ressort différent. Ce n’est pas un hasard si Leos Carax choisit comme titre de son film celui d'un poème d'Arthur Rimbaud, tiré d’Une saison en enfer. Et d'ailleurs ce n’est pas non plus pour rien qu’on a parfois surnommé le cinéaste « Le Rimbaud du septième art ». Malgré les défauts de son film, on sent une urgence chez Carax, une furieuse envie de liberté, une fougue qui fait du bien dans un paysage cinématographique français souvent trop polissé.