Tout s’est bien passé (2021) François Ozon
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Tout s’est bien passé (2021) François Ozon
Il n'y a que des preuves d'amour
L'actualité semble de plus en plus intéresser François Ozon, qui utilise régulièrement des sujets de société comme trames de fond pour ses long-métrages. Après Grâce à Dieu, qui traitait de la pédophilie au sein de l'Église catholique, le cinéaste met au centre de Tout s'est bien passé le débat sur la fin de vie. Il s'inspire du roman autobiographique d'Emmanuèle Bernheim, sa collaboratrice attitrée aux scenarii depuis Sous le sable. C'est la mort de cette dernière en 2017 qui l'a convaincu de mettre en scène cette histoire, après qu'Alain Cavalier eut renoncé à cette adaptation pour finalement réaliser un documentaire, Être vivant et le savoir, sur l'autrice et leur projet avorté. Tourné à l'été 2020, et non en mars comme prévu, Tout s’est bien passé fut sélectionné en Compétition officielle au Festival de Cannes, un an après que François Ozon eut présenté Été 85 lors de l’édition « virtuelle », qui n’avait pas pu se tenir en raison d’une certaine pandémie.
Emmanuèle, écrivaine, travaille chez elle quand elle reçoit un appel de sa sœur Pascale. Leur père André vient d’être victime d’un accident vasculaire cérébral et il a été admis aux urgences. Dans sa hâte, elle oublie de mettre ses lentilles de contact et doit remonter dans son appartement. Quand elle arrive à l'hôpital, Pascale l'attend à l'entrée et elles se dirigent vers le service d'imagerie médicale pour accompagner leur père, en train d’être examiné. Quand il reprend conscience, il se montre agité et demande à ses filles de partir. Emmanuèle reste pourtant, souhaitant voir le service de neurologie où André sera transféré. Dans la chambre, un autre homme est hospitalisé, qui lui raconte qu'il a aussi subi un AVC, mais qu'il se sent déjà mieux. Il lui demande si elle est inquiète, elle répond que son père est un homme fort qui a toujours réussi à surmonter les épreuves. Du reste, elle se rappelle combien il était dur avec elle quand elle était petite et qu’elle ne se montrait pas à la hauteur des ambitions paternelles.
Le traitement adopté par François Ozon dans Tout s’est bien passé est relativement frontal. Le réalisateur n’hésite pas à mouiller la chemise et ne semble pas impressionné par son sujet. Il aborde clairement le débat sur la fin de vie, n’hésitant pas à être pédagogue et à employer les termes qui peuvent fâcher. Mort, suicide, tuer, aucun tabou n’est esquivé, jusqu’aux soins corporels apportés à un vieil homme se retrouvant subitement dans l’incapacité d'assumer seule ces besoins primaires. On sent bien que le cinéaste s’est beaucoup documenté sur ces sujets, et la participation de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité n’est sans doute pas innocente dans cette clarification des débats. Le film ne s’en montre néanmoins pas militant, il se contente d’énoncer les arguments, et de mettre en scène une famille qui fait face à une telle situation. Ce n’est pas non plus didactique, Ozon évitant le côté documentariste qui pourrait alourdir son œuvre.
Car Tout s’est bien passé relève bien du domaine fictionnel, même si le film est grandement inspiré de l’autobiographie d'Emmanuèle Bernheim. Si les noms et les prénoms des protagonistes de l’histoire ont bien été conservés, on sent que François Ozon joue avec la réalité stricto sensu, entretenant une part de flou artistique. Du reste, le réalisateur de Dans la maison est bien conscient du caractère fuyant de la vérité et apprécie souvent de jouer avec les frontières de la vraisemblance. Par exemple, il introduit dans le film des gros morceaux d’humour, qui parfois passent, parfois pas vraiment, mais en tout cas qui tranchent heureusement avec le sérieux imposé par son sujet. Il s’évertue surtout à dépeindre en priorité l’impact de la décision du père sur l’ensemble de ses proches, ses filles en particulier. Remontent ainsi des rancœurs et des jalousies qui ont pu s’accumuler au cours du temps, et l’on reconnaît bien le talent du réalisateur à dépeindre des relations familiales.
Pour donner chair à ces interactions, il peut compter sur des interprètes hors pair. François Ozon confirme avec Tout s’est bien passé qu’il maîtrise à merveille l’art du casting et la direction d’actrices et d’acteurs. Alors qu’il lui avait proposé de nombreuses participations, dans Huit femmes ou dans Jeune et jolie, où figurait déjà Géraldine Pailhas, il confie à Sophie Marceau le rôle principal, qu’elle tient avec rigueur du début à la fin du film. On ne s’en étonne plus, mais André Dussolier livre une fois de plus une prestation remarquable, apportant une touche de malice dans un rôle pas facile à faire exister tant il est casse-gueule. Les seconds rôles sont tout aussi formidable, à commencer par Charlotte Rampling qui, en une réplique cinglante et un lancer de regard affûté, parvient à saisir l’essence de son personnage. Et dans sa collection d’actrices emblématiques, Ozon peut désormais ajouter les magnifiques Hanna Schygulla et Judith Magre, qui en quelques scènes réussissent à faire vibrer les protagonistes qu’elles incarnent.