La vie privée de Sherlock Holmes (1970) Billy Wilder
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La vie privée de Sherlock Holmes (1970) Billy Wilder
Légendaires, mon cher Watson
Quand Billy Wilder envisage de créer à Broadway une comédie musicale sur Sherlock Holmes, il est au faîte de sa gloire : au début des années 1960, il sortait Certains l'aiment chaud et La garçonnière. Dix ans plus tard, échaudé par les échecs d'Embrasse-moi, idiot et de La Grande Combine, il s'attelle à La vie privée de Sherlock Holmes. Et ce ne sera pas un long fleuve tranquille : après avoir travaillé sur une version de quasiment quatre heures, le réalisateur se voit obligé de sortir un film diminué de moitié. Les producteurs hollywoodiens auront coupé deux des quatre segments que contenait l'œuvre, en pure perte. En effet, à sa sortie le film sera un échec commercial et critique, alimentant l'aura de film maudit que le tournage compliqué avait déjà bien entamé.
À la mort du docteur Watson, ses héritiers découvrent une boite contenant certains des récits d'aventures qu'il a vécues avec le fameux détective Sherlock Holmes, et qu'il n'a jamais publiés. On retrouve ainsi les deux colocataires de Baker Street quelques années auparavant. Holmes s'ennuie profondément, tandis que Watson tente de l'empêcher de sombrer dans des paradis artificiels en cherchant une enquête à mener. Ils reçoivent alors une invitation mystérieuse à l'opéra national où se produisent les Ballets russes avec la célèbre danseuse étoile Madame Petrova. Durant la représentation du Lac des cygnes, le directeur de la troupe vient les inviter en coulisses pour rencontrer la star après la représentation. Alors que Watson s'amuse avec les danseuses, Holmes rencontre Madame Petrova.
Les deux parties qui figurent dans La vie privée de Sherlock Holmes peuvent paraître dissymétriques, et pourtant elles se répondent l'une à l'autre. Avec l'aide de son complice I.A.L. Diamond, avec qui il a travaillé durant toute la seconde moitié de sa carrière, Billy Wilder concocte un scénario aux petits oignons, divertissant et subtile. On n'ose imaginer combien les quatre parties originales du projet auraient pu embellir le film, en rendant d'autant plus cohérent l'ensemble. Car on sent que les deux complices avaient envie de jouer avec le spectateur, le menant par le bout du nez tout en lui laissant croire qu'il est maître de la situation. En cela, ils restent tout à fait fidèles à l'esprit initial dans lequel les romans de Sir Conan Doyle étaient écrits.
Et pourtant La vie privée de Sherlock Holmes est farouchement anticonformiste. Le détective y paraît agité, accroc à la cocaïne et les rumeurs sur son homosexualité avec le docteur Watson sont plus qu'insinuées (même si, Hollywood oblige, la réputation de coureur de jupon de Watson est lourdement appuyée). Le spectateur d'aujourd'hui, qui a vu les adaptations télévisuelles comme Sherlock ou Elementary, sans compter les diverses aventures cinématographiques récentes avec Robert Downey Jr, est plus habitué à ce genre de transgression, mais il faut se rappeler que si Sherlock Holmes est encore une institution londonienne, il l'était d'autant plus en 1970. Alors quand de surcroit c'est un réalisateur hollywoodien qui s'y colle, c'est le pompon.
Or, Billy Wilder s'est fondu, avec La vie secrète de Sherlock Holmes, dans le moule européen dont il est originaire. Pour incarner les deux protagonistes, il engage des respectables comédiens, respectivement du Royal National Theatre et de la Royal Shakespeare Company, Robert Stephens et Colin Blakely, qui s'en donnent à cœur joie. À leurs côtés, la divine Geneviève Page ajoute une touche charmante avec son accent français et Christopher Lee est impeccable, comme toujours. Les décors d'Alexandre Trauner retranscrivent fidèlement l'atmosphère victorienne, tandis que la mise en scène subtile ajoute un cachet chic s'il en est. N'en doutons pas, c'est un plaisir absolu que de savourer ce petit bijou d'humour et d'élégance.