Lili Marleen (1981) Rainer W. Fassbinder
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Lili Marleen (1981) Rainer W. Fassbinder
Une femme sous influences
L’histoire de la chanson Lili Marleen est assez fascinante. À l’origine, c’est un poème écrit par un soldat allemand durant la première guerre mondiale mettant en scène une histoire d’amour contrariée par la guerre. Un compositeur célèbre, Norbert Schultze, le met en musique en 1938 et le fait chanter par la chanteuse Lale Andersen. Bide à sa sortie, il est diffusé en 1941 par l’état-major allemand et séduit immédiatement les soldats. Son succès se fera même sentir parmi les troupes alliés, embarrassant les autorités. Ce sera bientôt au tour de Marlene Dietrich d’incarner cette Lili Marleen tant fantasmée, assurant ainsi définitivement sa popularité mondiale. Un sujet en or pour Rainer Werner Fassbinder qui redoutait pourtant de le traiter quand on le lui a imposé. Une peur a posteriori justifiée par les nombreuses critiques qui lui ont été faites.
Le début
À Zurich, juste avant la Seconde guerre mondiale, le musicien Robert vit une histoire d’amour avec la chanteuse Willie, une allemande un peu frivole. Ce qui n’est pas sans poser de problème au sein de l’entreprise familiale gérée par David, le père de Robert, et qui permet à des juifs d’obtenir un passeport pour quitter l’Allemagne. David finit par convaincre son fils d’entraîner Willie dans un voyage périlleux en Allemagne au cours duquel celle-ci se verra contrainte à rester dans son pays, manipulée par David, qui ne voulait pas la faire rentrer en Suisse. De fil en aiguille Willie trouvera la protection de grands pontes du IIIe Reich, dont l'un d'entre eux lui fera enregistrer la célèbre chanson qui scellera son destin. Elle n'a aucun succès jusqu'un émetteur militaire la diffuse, et que de nombreux soldats la fredonnent pour se donner du courage dans ce conflit qui n'en finit pas.
Analyse
Le parti-pris qu'a choisi Reiner Werner Fassbinder de romancer l’histoire de la chanteuse est une des critiques qu’on a pu lui faire. Le réalisateur en fait un personnage de chair et de sang, qui vibre, aime, et n’est pas ni tout blanc ni tout noir. Et sur un sujet aussi sensible que l’évocation de la période la plus noire de l’Allemagne, dans un pays en pleine reconstruction et où les sensibilités sont encores vives, l’absence de prise de position claire et nette en a chagriné plus d’un. Pourtant la distanciation opérée dans Lili Marleen par la mise en scène froide d'une passion ardente peut être vue comme une des forces du film. Évitant les poncifs et les écueils faciles, le long-métrage n’échappe toutefois pas à une description parfois fascinante des fastes du IIIe Reich, vue du point de vue de sa protagoniste, ambitieuse et avide d'une reconnaissance dont elle ne mesure pas la portée.
Or comment pourrait-on faire pour expliquer le délicat dilemme de cette héroïne, partagée entre son désir de gloire et sa fidélité à son amour, si ce n’est en la décrivant dans le contexte réel de l’époque ? Et d'ailleurs on ne peut pas éprouver de réelle compassion envers le personnage de Willie, qui ne nous est pas toujours présentée sous ses meilleurs atours. Incapable de prendre une décision, si ce n’est quand elle est acculée, elle se laisse peu à peu entraîner dans une spirale qui ne pourra lui être que fatale. On retrouve ainsi dans Lili Marleen le goût prononcé de Reiner Werner Fassbinder pour le mélodrame et sa stylisation si particulière. La mise en scène, bien que plus lisse que dans le reste de ses productions de l'époque, est tout de même clairement reconnaissable avec ses effets de miroirs démultipliés et ses couleurs vives si particulières.
Autour d’un casting plus international qu’à l’accoutumée on retrouve pour une dernière fois avec son Pygmalion la charmante, et excellente, Hanna Schygulla. Elle livre ici une composition remarquable, à la fois attirante et ambiguë, et on pense forcément à Marlene Dietrich dans certaines séquences. Comme ces scènes fortes en émotion où elle chante sa chanson devant des foules en délire, brillamment entrecoupées par des images frontales de l’horreur des combats se déroulant en même temps et en un autre lieu. Reiner Werner Fassbinder poursuit ainsi avec Lili Marleen son travail de mémoire, montrant ainsi un personnage entraîné par son destin, un personnage qui pourrait se retrouver, quelques années plus tard, sous les traits de l’héroïne principale du Secret de Veronika Voss, qui cloturait sa Trilogie Allemande sur l'Histoire de son pays.