Le festin de Babette (1987) Gabriel Axel
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Le festin de Babette (1987) Gabriel Axel
Péché de chère n’est pas mortel
En 1987, Gabriel Axel, acteur, puis réalisateur formé au Théâtre royal de Copenhague, et qui a passé du temps en France, travaillant avec la troupe de Louis Jouvet, surprend son monde. Ce metteur en scène typiquement danois acquiert avec Le festin de Babette une reconnaissance internationale, obtenant même l’Oscar du meilleur film étranger. Le long-métrage fera par la suite partie des Canons de la culture danoise, soit « une des 108 œuvres d'exception censées représenter le cœur de la culture danoise ». Fidèlement inspiré d’une nouvelle de Karen Blixen, dont l’adaptation de La ferme africaine était sortie quelques années plus tôt, il raconte l’histoire d’une petite communauté de la région du Jutland où la religion a une place prépondérante. On ne peut pas dire que, sur le papier, ce thème soit a priori très folichon, mais il ne faut pas s’arrêter là.
Le début
Dans la région danoise du Jutland, au XIXe siècle, un pasteur luthérien rigoriste est le chef d’une petite communauté, prônant une existence de prière et d’ascèse. Ses deux filles Martine et Filippa sont courtisées par plusieurs jeunes hommes, mais il ne peut se résoudre à les quitter. Ainsi les histoires d’amour des deux jeunes femmes sont-elles couronnées d’échecs, tel cette tentative effectuée par Lorens, un officier de passage, qui courtisa sans succès Martine et devra se résoudre à retourner à ses engagements militaires. De même, un certain Achille Papin, chanteur lyrique français qui passait du temps dans le village, avait tenté de convaincre Filippa, et surtout son père, qu’elle pourrait avoir une carrière de chanteuse à Paris, tentative qui s’avérera sans succès, puisque c’est même la jeune amoureuse qui choisira la raison plutôt que sa passion naissante mais néanmoins solide.
Analyse
Le début du Festin de Babette est d’un classicisme exemplaire, et d’ailleurs la vie de deux sœurs puritaines en plein cœur du Danemark du dix-neuvième siècle ne prête guère aux débordements. Très sagement mais non sans une certaine distanciation, Gabriel Axel nous narre les quelques soubresauts émotifs qui vont émailler leur vie bien terne et dominée par un père tyrannique. Puis arrive par un temps de pluie une intruse venue de France et prénommée Babette ; échouée sur cette terre inconnue, elle n’aura de cesse de tenter de s’intégrer à la communauté et y réussira brillamment mais non sans peine. Quand, au bout de quatorze années de vie commune, et de fidèle service en tant que servante auprès de ces deux vieilles filles, elle décide de remercier ses hôtes avec un repas « à la française », c’est le drame dans cette communauté où les plaisirs gustatifs sont défendus.
Ainsi les prudes ouailles qui composent les personnages du Festin de Babette ne vont pas voir d’un très bon œil cette initiative iconoclaste au pays de la piété et de l’abstinence. Elles décident carrément, par peur de déclencher la fureur divine, de ne faire aucun cas des diverses victuailles qui leur seront servies durant le repas. Il faut dire que Babette, campée par une superbe Stéphane Audran dans un de ses plus beaux rôles, n’y va pas avec le dos de la cuiller. Elle leur sert divers plats étonnants, tels cette soupe de tortue, ces blinis au foie gras ou ces cailles en sarcophage. On peut en convenir, le menu a de quoi déconcerter, sans compter la profusion de vins, tous aussi délicats et millésimés, et autre champagnes. Plusieurs grands cuisiniers français ont été mis à contribution pour concocter les plats anciens inclus dans le menu, tandis qu’un chef de Copenhague s’est chargé de les cuisiner.
La chaleur et les couleurs chatoyantes, d’inspiration picturale, qui se dégagent de la cuisine de Babette quand elle prépare son repas, tout comme ses costumes créés par Karl Lagerfeld, détonnent avec les paysages austères pourtant magnifiquement mis en valeur par la lumière du chef opérateur Henning Kristiansen. Stéphane Audran, qui a appris phonétiquement le danois pour le rôle, a dû se sentir bien seule dans ce casting composé d’interprètes sortis tout droit de chez Carl Theodor Dreyer, telles Brigitte Federspiel et Lisbeth Movin ou bien de chez Ingmar Bergman, comme Bibi Andersson ou Jarl Kulle, ce qui a sans doute contribué au décalage de culture que l’on peut ressentir entre Babette et les habitants du village. En tout cas, il ne faut surtout pas faire la fine bouche, car l’on peut apprécier ce Festin de Babette sans modération aucune.