The Irishman (2019) Martin Scorsese
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The Irishman (2019) Martin Scorsese
Histoire de fantômes italo-américains
La sortie de The Irishman ainsi que son développement paraissent comme un cas d’école sur les relations actuelles entre les acteurs de la distribution traditionnelle et les nouveaux entrants. Quand il prépare son film, Martin Scorsese n’imagine pas qu’il ne va pas être diffusé dans des salles de cinéma. Annoncé très tôt, avec dès la fin des années 2000 la tête d’affiche Robert de Niro, le film n’est confirmé qu’au milieu des années 2010, le casting s’étoffant avec la première collaboration entre Scorsese et Al Pacino, puis les tergiversations de Joe Pesci qui finira par accepter. Le film est présenté au Marché du film du Festival de Cannes, et des producteurs s’y intéressent, entraînant avec eux la Paramount Pictures qui en assurera la distribution. Lorsque les financeurs se retirent, le budget ayant explosé durant le tournage, Netflix pointe le bout de son nez et rafle la mise, bloquant en France la sortie du film en salles car ils contestent la politique de la chronologie des médias.
Dans une maison de retraite, Frank, un ancien conducteur de camions se souvient de sa « carrière » dans la mafia. Pour assister à un mariage, Russel Buffalino lui avait un jour demandé de l'accompagner en voiture avec leurs épouses respectives. Lors d'une pause cigarette, ils s'arrêtent devant une station-service qui leur rappelle des souvenirs : c'est là qu'ils se sont rencontrés des années auparavant. Russel avait dépanné Frank alors que sa voiture était en panne. Quelques temps plus tard, Russel présente Frank à Skinny Razor, un homme d'affaire avec qui il va écouler sa marchandise, des pièces de boucherie. Un jour, Frank fait semblant de découvrir devant son patron que le camion qu'il vient de conduire est vide alors qu'il était censé être plein de marchandises. Il va alors voir le cousin de Russel, avocat, pour le défendre. En l'absence de preuve, son chef reçoit un avertissement et Frank s'en sort sans dommage.
C’est tout à fait fascinant de voir avec The Irishman comment les américains ont une capacité incessante de réécrire leur propre histoire sous différents prisme. L’histoire part d’un fait réel, la confession avant sa mort du syndicaliste Frank Sheeran, avouant le meurtre de Jimmy Hoffa et résolvant ainsi un mystère qui avait plané durant des années. En se basant sur le roman de Charles Brandt, qui revient sur la destinée de cet irlandais au sein de la mafia italo-américaine, Martin Scorsese nous livre en creux un miroir déformé de l’histoire contemporaine des États-Unis. Se concentrant majoritairement sur les années 1960 et 1970, le film retrace ainsi l’élection puis l’assassinat de John F. Kennedy, le débarquement de la baie des Cochons ou bien l’affaire du Watergate. Mais tous ces événements n’apparaissent qu’en filigrane, et sous l’œil souvent agacé de mafieux qui, si l’on veut bien croire les images, sont à la manœuvre.
La politique américaine nous est donc présentée, dans The Irishman comme une valse de pantins, la pègre tirant les ficelles entre deux guerres intestines. Cette relecture qui accorde du crédit à de nombreuses théories complotistes est assez intéressante quand on la met en perspective avec l’ensemble de la carrière des protagonistes du film. Car on assiste en regardant le long-métrage à un défilé de fantômes, qui ont tous participé à l’enracinement de cette culture de gangsters. Ainsi l’on se rend compte que les visages de Robert De Niro, Al Pacino ou Joe Pesci ont pris cher en vieillissant. L’effet cumulé de divers abus, tant au niveau de substances illicites que de chirurgie esthétique, ont déformé leurs traits et ils traversent le film comme des spectres. Cela nous permet une relecture de l’histoire, volontaire ou pas de la part de Martin Scorsese, qui ne manque pas de piquant mais opère une distanciation du spectateur un peu étrange.
Cela est en grande partie dû aux effets spéciaux, un des points les plus onéreux du budget de The Irishman. Souhaitant exploiter les trois acteurs durant l’ensemble de la narration, qui s’étale sur soixante ans, Martin Scorsese a fait le choix de les rajeunir avec l’aide du numérique, ce qui amplifie grandement le caractère fantomatique de ces apparitions. On peut ajouter à ce sentiment d’étrangeté le fait que les scènes du film s’étirent en longueur sans que l’on s’en rende compte, jusqu’au moment où l’on réalise qu’on assiste à un dialogue à bâtons rompus depuis quelques minutes. Le spectateur sort ainsi de sa zone de confort, même si l’on assiste à une maîtrise complète de la mise en scène de la part de Martin Scorsese, on est loin de la flamboyance à laquelle il a pu nous habituer. Et pourtant on ne voit pas le temps passer, peut-être grâce à une narration toute en ellipse assez efficace, tout en se rendant bien compte que quelque chose cloche, quelque part, dans ce grand film un peu malade.