Moffie (2021) Oliver Hermanus
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Moffie (2021) Oliver Hermanus
Apprentissage douloureux d’une orientation sexuelle stigmatisée
Présenté en septembre 2019 dans la section Orizzonti du Festival de Venise, Moffie a dû attendre bien longtemps avant d’être diffusé en France, à l’occasion du Festival Chéries-Chéris. C’est le quatrième long-métrage du réalisateur sud-africain Oliver Hermanus, qui avait été le premier de son pays à concourir pour ce même festival quatre ans auparavant avec La Rivière sans fin. Auparavant, son Beauty avait été sélectionné dans la section Un certain regard du Festival de Cannes, où il avait obtenu la Queer palm. Il adapte ici l’ouvrage autobiographique de André-Carl van der Merwe, un auteur sud-africain qui s’est inspiré pour l’écrire du journal intime qu’il avait écrit quand il était adolescent et qu’il avait accompli son service militaire. L’action se situe alors que l’actuelle Namibie était un protectorat de l’Afrique du Sud et que l’Angola voisin était un pays communiste. La guerre de la frontière sud-africaine scellera alors l’indépendance de la Namibie.
Au début des années 1980, en Afrique du Sud, Nicholas van der Swart va faire son service militaire. Alors en conflit à sa frontière avec l’Angola, le pays réquisitionne l’ensemble des jeunes de plus de 16 ans. Son père, qu’il ne voit que rarement, sa mère ayant épousé un autre homme, lui offre une revue pornographique « qui servira comme munition en cas de besoin ». À la gare, il se fait malmener pour monter dans le train, où il rencontre un de ses futures collègues de chambrée, Michael Sachs. Après avoir malgré lui signifié que son nom ne sonne pas trop afrikaans, celui-ci lui propose de l’alcool, qu’il refuse. Michael insiste alors, lui faisant comprendre qu’il en aurait besoin au vu de la destination de leur voyage. Lorsque le train fit un arrêt, un tohu-bohu s’installe dans les couloirs : tout le monde est à la fenêtre, regardant un homme noir assis sur un banc de la gare. Il se fait copieusement insulter et harceler par l’ensemble des recrues, qui lui font bien comprendre que sa place n’est pas là.
La structure de Moffie ressemble à s’y méprendre avec celle de Full Metal Jacket. La première partie du film nous emmène dans un camp d’entraînement militaire à la dure, avec un sergent-inspecteur tout aussi sadique que le fameux Hartman. On y retrouve les mêmes scènes de chambrée, les mêmes pétages de plomb, les mêmes injures et les mêmes humiliations. Pour couronner le tout, Oliver Hermanus nous glisse un petit clin d’œil, incorporant dans l’une des scènes le même morceau de piano composé par Schubert et que Stanley Kubrick avait utilisé dans Barry Lyndon. La musique tient d’ailleurs une place prépondérante dans Moffie, on retient une scène de danse particulièrement efficace sous la musique du Don’t go de Yazzo. La quasi dernière partie du film se déroule, comme celle du film de Kubrick, sur un terrain de bataille où les désillusions des protagonistes culminent dans des scènes assez violentes. Les personnages des deux films partagent d’ailleurs une même amertume.
Le personnage principal de Moffie se trouve quant à lui à une période charnière de son existence. Il partage avec les jeunes recrues qui l’accompagnent la fougue de la jeunesse et les ardeurs qui vont avec. Il se sent toutefois différent de la plupart d’entre eux, hormis quelques-uns qu’il va vite apprendre à connaître. En effet, on ne tarde pas à réaliser qu’il se sent attiré par les hommes, ce qui nous est signifié un peu lourdement lors de scènes dans les douches collectives de la caserne, qui certes nous offrent à voir de beaux fessiers mais dont la répétition n’apporte pas grand-chose. Reste que l’homosexualité vécue ou fantasmée par certains des personnages va leur conduire à avoir des destins souvent tragiques. Certains sont envoyés sans ménagement dans une unité spéciale, où sont regroupés les toxicomanes et les psychopathes, mais aussi les homosexuels. Cette stigmatisation en marquera plus d’un, renforçant le sentiment de honte qu’ils ressentaient malgré eux.
C’est ainsi dans un même élan que Moffie a pour ambition de dénoncer à la fois l’homophobie d’une société à la masculinité toxique et le racisme général qui gangrenait les esprits de l’époque. Oliver Hermanus étant issu d’une famille de Sud-africains noirs, il fait ici le choix judicieux de s’intéresser à l’oppresseur et aux difficultés auxquels celui-ci a pu être confronté. Cette volonté de se décentrer est assez louable, apportant un peu de nuances et permettant de ne pas schématiser. Il s’appuie pour ce faire sur une révélation assez surprenante en la personne de Kai Luke Brummer. Pour sa première apparition à l’écran, le jeune acteur à la figure d’ange offre une prestation remarquable tandis que le beau Ryan de Villiers lui tient la dragée haute. On retient du long-métrage une bande sonore habilement travaillée et une photographie à la nuance appliquée. Avec subtilité, Hermanus développe son propos tout en nous offrant une œuvre prenante.