Les contes de la lune vague après la pluie (1953) Kenji Mizoguchi
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Les contes de la lune vague après la pluie (1953) Kenji Mizoguchi
Comment résister à un tel titre ?
Souvent considéré comme le « troisième génie » du cinéma japonais avec Akira Kurosawa et Yasujiro Ozu, l'importance de Kenji Mizoguchi n'en doit pas moins être sous-estimée. Cinéaste esthète et talentueux, il signe en 1953 une adaptation de quatre nouvelles différentes, deux inspirées d'un recueil japonais écrit au XVIIIe siècle et deux autres inspirées par Guy de Maupassant. Le magnifique titre, un peu sibyllin, Les contes de la lune vague après la pluie, se réfère tout simplement à l'ambiance dans laquelle l'auteur, Akinari Ueda, a écrit les contes : « En 1728, vers la fin du printemps, une nuit, alors que la pluie cessait et que l'éclat de la lune était brouillé, près de ma fenêtre, j'ai composé ces récits. ». En 1953, le film décroche le Lion d’argent au Festival de Venise, faisant alors connaître Mizoguchi à un public européen aux anges, et on les comprend.
Au XVIe siècle, vivent dans un village Genjuro, un potier, et Tobei, qui aimerait devenir samouraï. Le premier devient riche car les prix ont augmenté en raison de la guerre avec l'armée Shibata, et il souhaite dès lors produire encore plus de pots. Mais ils sont obligés de fuir suite à l'invasion de leur village, et se dirigent vers la ville en compagnie de leurs épouses, Miyagi et Ohama. Genjuro y rencontre Dame Wakasa, dont le père est samouraï, et qui lui achète plusieurs de ses produits. Tobei, quant à lui, se procure une armure, au grand dam d’Ohama, qui, en tentant de le rejoindre, se perd. Elle se retrouve piégée par des hommes qui la violent et elle est contrainte à la prostitution pour assurer sa subsistance. Genjuro va trouver Wakasa dans la montagne où elle habite, et elle le séduit. Cédant à ses sortilège, le potier devient son amant, ayant oublié jusqu’à son mariage avec Miyagi.
En à peine plus d'une heure et demi, Kenji Mizoguchi nous emmène, avec Les contes de la lune vague après la pluie, dans un voyage visuel envoûtant, réussissant le tour de force de mêler quatre récits d'inspiration différente tout en les reliant d'une façon magnifique qui les rend quasiment indissociable. Faisant de ces histoires individuelles des fables sur la vanité de l'homme et son ambition futile, il livre une œuvre universelle au tempo impeccable. Chaque plan est nécessaire et suffisant, la moindre scène explique clairement et simplement l'action en évitant le superflu. S’inspirant du théâtre kabuki, le réalisateur mélange de façon harmonieuse les images et le son dans l’espace. Cela peut paraître basique, et l’on se dit que c’est là l’essence du cinéma, et pourtant rarement on peut voir aussi purement l’alliance entre tous ces éléments.
Tout ça sans aucune lourdeur ni aucune prétention, à l'image de ce début de film où en deux plans trois mouvements l'intrigue est posée, le drame est désormais scellé. C'est ce qu'on appelle l'épure, à laquelle on peut ajouter un talent pour la narration d’une remarquable qualité. Alors peuvent se dérouler les destins de nos deux personnages masculins, cherchant la gloire, qui à travers l'art délicat de la poterie, qui dans sa prétendue vocation de samouraï. Le premier, c’est Masayuki Mori, soit un des quatre protagonistes de Rashōmon, tandis que le second, fidèle acteur de Kenji Mizoguchi, a par ailleurs tourné avec les plus grands cinéastes japonais de l’époque. Mais ne nous méprenons pas : si les héros malheureux des Contes de la lune vague après la pluie sont des hommes, c'est aussi pour nous exposer en filigrane la déchéance parallèle de leurs épouses respectives.
Ayant perdu sa sœur très tôt, vendue par son père à une maison de geishas, Kenji Mizoguchi n'aura de cesse dans sa filmographie de réparer cet outrage et de rendre hommage au « sexe faible » à travers des rôles de femmes courageuses et martyres. En l'occurrence dans Les contes de la lune vague après la pluie, il met en valeur Machiko Kyô, que l'on a aussi vue dans Rashōmon, et dont la carrière longue comme le bras en ferait pâlir plus d’une. Cela ne fait pas peur à Kinuyo Tanaka, sa grande rivale professionnelle d’alors, qui a elle aussi tourné avec les plus grands réalisateurs. Sans oublier Mitsuko Mito, qui incarne ici le rôle d’une femme déchue, victime symbolique et sacrificielle de cet univers machiste. Leur interprétation est magistrale, à l’image du film, qui nous raconte une magnifique histoire d'amour et de superstition mêlés.