Le charme discret de la bourgeoisie (1972) Luis Buñuel
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Le charme discret de la bourgeoisie (1972) Luis Buñuel
Petits rêves entres amis
Cinquième film de la « période française » de Luis Buñuel, Le charme discret de la bourgeoisie est inclassable. D’un premier abord accessible et futile, le film s’avère finalement bien plus subversif et iconoclaste qu’il ne laisse présager. Le point de départ a été inspiré au réalisateur par son producteur Serge Silberman à qui l’anecdote était arrivée : six amis, bourgeois et fiers de l’être, désirent se retrouver afin de partager un repas ensemble. Seulement le maître de maison n’est pas là et sa femme est en robe de chambre : le dîner était censé se dérouler le lendemain. Le hic c’est qu’il ne se fera finalement jamais, et c’est là le cœur de l’intrigue : divers incidents plus ou moins loufoques empêcheront nos protagonistes de se sustenter.
Le début
Revenant vivre en France, Rafael Dacosta, l'ambassadeur de Miranda, un tout petit pays d'Amérique du Sud, n'hésite pas à s'adonner au trafic de stupéfiant avec ses amis, François Thévenot et Henri Sénéchal. Ils souhaitent céélbrer une bonne affaire autour d'un repas copieusement arrosé, qu'ils décident de déguster chez Sénéchal. Quand les amis arrivent chez l'hôte de la soirée, celui-ci n'est pas chez lui, et son épouse Alice n'a pas été prévenue de l'invitation. Non seulement n'est-elle pas habillé, mais le dîner n'est pas prêt, et rien n'a été prévu. Finalement, ils se dirigent vers un restaurant pour profiter de la soirée ensemble. Seulement, une mauvaise surprise les attend en arrivant : le patron vient de mourir, dans la journée.
Analyse
La nourriture est omniprésente dans Le charme discret de la bourgeoisie, qui est un titre formidable, au passage : on en parle, on la prépare, chaque scène est construite dans ce but unique qu’est la dégustation de mets élaborés. Le non-assouvissement de ce désir primaire agit donc comme un révélateur formidable de la frustration intrinsèque des personnages. On a affaire ici à des individus oisifs et prétentieux, qui parlent pour ne rien dire et sont finalement malgré leur notabilité très peu recommandables. Leur incapacité à venir à bout d’un événement tellement anodin qu’un repas entre amis apparaît donc comme le symbole de la fatuité de « ces gens là » comme dirait le grand Jacques.
Non content de s’attaquer aux bourgeois, Luis Buñuel s’en donne à cœur joie dans cette farce ébouriffante qu'est Le charme discret de la bourgeoisie : le clergé, les militaires, la police, tout le monde en prend pour son grade. Et tout ça sans aucun esprit bêtement revanchard ni purement revendicatif. Les messages sont assénés avec un humour remarquable et la pilule passe à merveille même si le message est sévère. Les multiples passages surréalistes et oniriques du film sont insérés de façon tout à fait naturelle dans une narration a priori complètement déstructurée voire quasi inexistante, sorte d’ultime pied de nez d’un réalisateur se moquant effrontément des structures narratives conventionnelles.
La troupe de comédiens qui constituent les personnages centraux du Charme discret de la bourgeoisie est parfaitement homogène et chacun y joue son rôle avec une aisance parfaite. Cela fait partie des longs-métrages où, à les voir à l'écran, on sent que les interprètes ont dû s’amuser en le tournant. C’est toujours un grand plaisir d’entendre la voix suave et mélodieuse de Delphine Seyrig et de revoir la très « chabrolienne », et non moins charmante Stéphane Audran. On peut d'ailleurs noter au passage que le film entier fait immanquablement penser à l'oeuvre de Claude Chabrol. Explosant les codes du théâtre de boulevard et du scénario traditionnel, le long-métrage est une critique des conventions, un manifeste du prolétariat… et tout son contraire à la fois.