La peau douce (1964) François Truffaut
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La peau douce (1964) François Truffaut
Scènes de la vie extraconjugale
Lorsque François Truffaut prépare La peau douce, il a déjà en tête Fahrenheit 451, et souhaite avant de le réaliser faire un film dans l'urgence. Il s'inspire alors de faits divers et convoque ses proches collaborateurs, dont Jean-Louis Richard, ancien mari de Jeanne Moreau, qui apparaît dans Jules et Jim et écrira par la suite plusieurs scenarii pour Truffaut. Comme à son habitude, le réalisateur intègre plusieurs éléments autobiographiques dans son film, nomme le personnage principal de l'un de ses noms de plume, et il tournera une partie dans son appartement. Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes, dont le Jury est présidé par Fritz Lang, le film repart bredouille, et reçoit même un accueil critique glaçant. Pour la petite histoire, le Grand prix va cette année aux Parapluie de Cherbourg, où la sœur de Françoise Dorléac, Catherine Deneuve, fait fort impression.
Pierre Lachenay se dépêche pour rentrer chez lui : il a un avion à prendre pour Lisbonne, où il donne une conférence. Retardé par une panne dans le métro, il se fait accompagner en voiture par le mari de son amie Odile, en compagnie de sa fille Sabine qui tient absolument à venir. Ils se dépêchent et vont tellement vite qu'un policier les pourchasse jusqu'à Orly. Pierre les laisse et court jusqu'au comptoir d'enregistrement, parvenant à la dernière minute à prendre son avion. Arrivé à destination, l’hôtesse lui demande d'attendre avant de descendre : des photographes s'apprêtent à prendre une photo de lui. Accueilli par les organisateurs, il pose ses affaires à l'hôtel où il croise brièvement cette même hôtesse de l'air. Avant la conférence, on lui demande pourquoi il a choisi le thème de l'argent dans l’œuvre d'Honoré de Balzac : il répond simplement qu'il aime les deux, et a même écrit un ouvrage sur le sujet.
Au premier abord, La peau douce est un formidable objet historique et sociologique sur la France des années 1960. François Truffaut ancre de façon saisissante ses personnages dans un cadre très précis. On les voit fumer au restaurant et même dans l'avion (sans parler du Orly de ces années là), se mouvoir dans des intérieurs dont les mobiliers sont typiquement marqués de cette époque. Les déclarations d'amour sont télégraphiées, ce qui occasionne une scène d'un romantisme affolant, et c'est à se demander si Claude Lelouch ne s'en est pas inspiré pour sa formidable scène d'Un homme et un femme, où Jean-Louis Trintignant, tout en traversant la France entière pour la retrouver, récite le discours qu'il va dire à Anouk Aimée, qui vient de lui envoyer un simple télégramme (« Je vous aime »). Ce n'est sans doute pas l'intention première de Truffaut, que de se faire le peintre de son temps, mais il le fait d'une manière impeccable.
Ce qui l'intéresse, et que l'on retient surtout de La peau douce, c'est son lyrisme flamboyant. Avec une histoire dont la simplicité est désarmante – un homme trompe son épouse, elle l'apprend – François Truffaut parvient à nous emmener dans des tourbillons passionnels poignants. On connaît l'attrait du cinéaste pour le romanesque, et il le réitérera maintes et maintes fois – par exemple plus de quinze années plus tard dans sa Femme d'à côté dont les protagonistes pourraient être des cousins peu éloignés de Nicole et de Pierre. Mais ici le cinéaste n'hésite pas à varier les genres. Est-ce sa proximité avec Alfred Hitchcock – il sortira le Hitchbook deux ans plus tard – qui le fait utiliser la tension dramatique à son paroxysme. Reste que les scène d'ouverture et finale manient, chacune de façon très différente, le temps et l'espace idéalement, créant des montées et des descentes de pression chez le spectateur.
Ainsi pour La peau douce, François Truffaut s'adjoint l'assistance de collaborateurs fidèles et talentueux. Son chef opérateur n'est autre que Raoul Coutard, un des plus grands photographes de la Nouvelle vague, qui travailla longtemps avec Jean-Luc Godard. Son travail de mise en valeur des visages, les regards étant ici essentiels, est notable. Quand on parle de Nouvelle vague, comment ne pas citer l'apport discret mais efficace du compositeur Georges Delerue, qui vient alors de livrer la musique du Mépris. Quant au casting, une fois encore il témoigne d'une époque. Dire que Françoise Dorléac livre ici sa plus belle performance relève de la lapalissade. Elle se montre dans se film délicate et charmante, tout en révélant un sacré caractère de femme libre. Jean Desailly s'avère de son côté tout à fait étonnant, lui que l'on attendait pas dans cet univers. Il apporte de la complexité à ce rôle d'homme couard, peu aimable au premier abord.