Happy together (1997) Wong Kar-wai
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Happy together (1997) Wong Kar-wai
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Dès son premier long-métrage, Wong Kar-wai s’est fait connaître du Festival de Cannes en participant à la Semaine de la critique. Prolifique au début des années 1990, il revient sur la Croisette, cette fois-ci en Compétition officielle avec Happy together, qui y décroche le Prix de la mise en scène. Pour écrire son scénario, le réalisateur hongkongais s’est librement inspiré d’un roman de l’écrivain homosexuel argentin Manuel Puig, qui avait été adapté une décennie plus tôt avec une autre de ses œuvres, Le baiser de la femme araignée. Pour son équipe technique, il s’entoure de son fidèle directeur de la photographie, Christopher Doyle, qui l’accompagnera encore longtemps et contribuera à la reconnaissance d’une certaine signature esthétique du metteur en scène. Il choisit deux acteurs avec qui il a déjà travaillé plusieurs fois, les excellents Leslie Cheung et Tony Leung, pour interpréter les rôles principaux de son film et débute une collaboration avec Chang Chen, qui est alors en début de carrière.
Yiu Fai et Po Wing quittent Hong-Kong pour l’Argentine, en vue de repartir à zéro, comme le suggère le second : en couple depuis longtemps, ils connaissent régulièrement des hauts et des bas dans leur relation. Sur la route qui doit les mener aux chutes d'Iguazú, leur voiture tombe en panne, ils se disputent une nouvelle fois et se perdent. Ils décident de se séparer et Yiu Fai trouve un travail à Buenos Aires, dans un bar où les clients assistent à des représentations de tango. Il accueille en particulier les touristes chinois qui viennent en nombre. Il y retrouve un jour par hasard Po Wing, alcoolisé et accompagné de plusieurs garçons, qui ne le remarque même pas. Il a maintenant tourné la page, et loge dans la chambre exiguë d’un hôtel bon marché, économisant de l’argent pour revenir dans son pays. Po Wing le retrouve et lui demande s’il peut l’héberger ; ils s’expliquent violemment puis se réconcilient en tentant de recommencer une fois de plus « à zéro ».
La première scène de Happy together figure un couple d’hommes faisant l’amour après s’être disputés. Le cadre est posé, et le long-métrage ne va cesser de filer ces thèmes. Quasiment dix ans avant Le secret de Brockeback mountain, Wong Kar-wai choisit d’ancrer son histoire d’amour entre deux hommes. Alors certes, le film n’aura pas beaucoup de retentissement médiatique, mais l’audace mérite d’être signalée. La romance que vivent les protagonistes, depuis plusieurs années, est passionnelle : dès le début, un des deux amants nous informe en voix off qu’ils ont déjà expérimenté plusieurs ruptures, et que le voyage qu’ils s’apprêtent à mener ressemble à une dernière chance. Plusieurs des scènes vont nous présenter leurs disputes, souvent violentes, suivies de réconciliations, parfois sur l’oreiller. La sensualité, a ainsi une place importante dans le film, qui n’hésite pas à montrer avec pudeur les corps de ces hommes et leur intimité, qui implique non seulement des gestes de sensualité mais aussi leur quotidien de couple.
Les émois et les sentiments des deux personnages principaux de Happy together sont très souvent dépeints dans des lieux clos, exigus. Une certaine idée de l’enfermement nous est ainsi présentée, qui dénote avec les projets initiaux de Yiu Fai et Po Wing, qui voulaient voir les chutes d'Iguazú. Celles-ci nous sont montrées à plusieurs reprises, et ces paysages comme ceux du phare situé à Ushuaïa nous font l’effet d’une bulle d’oxygène, opérant un rythme en contrepoint de cette relation de couple. Cette importance portée aux lieux n’a rien d’anodin, le long-métrage de Wong Kar-wai jouant avec la distance, intérieure entre les êtres, et extérieure entre les pays. Ce cadre spatio-temporel provoque un sentiment d’étrangeté, renforcé par les alternances entre le noir et blanc et la couleur, comme si les protagonistes n’avaient leur place nulle part, à l'image de leur contrée d'origine, Hong-Kong, bientôt rétrocédée à la Chine. Expatriés, ils vont la majeure partie du temps traîner avec des asiatiques tout en pratiquant le tango, qui plus est tous les deux, dans une très belle scène où cette cuisine dont le dénuement et les murs défraîchis participent à ce sentiment d’incongruité.
Pourtant quelque chose de familier, et d'universel, advient devant Happy together, en particulier pour ceux qui connaissent le cinéma de Wong Kar-wai. Il utilise ici les grands classiques de sa mise en scène, qu’il a déjà initié dans ses premiers films et qu’il continuera à employer comme des mantras. Pour exemple tous ces ralentis qui émaillent l’action, et qui ne sont jamais inutiles. D’ailleurs peu de réalisateurs savent se servir de cet outil à bon escient, pour accentuer un sentiment ou cristalliser un moment suspendu. On retrouve par ailleurs cette obsession pour les couleurs vives, qui font la patte du cinéaste, et sont ici sublimées par la lumière de son fidèle chef-opératuer Christopher Doyle. La musique est une fois de plus entêtante, toujours bien choisie et s’accorde parfaitement avec les images qui l’accompagnent. À ces motifs récurrents s’ajoutent le thème de l’empêchement, cher au réalisateur, et ce message envoyé d’un phare au bout du monde, qui fait écho à celui chuchoté à un arbre dans le futur In the mood for love.