Be with me (2004) Eric Khoo
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Be with me (2004) Eric Khoo
Quand on n’a que l’amour
Film fragile, Be with me est authentique et émouvant. Fragile parce qu’il vient de Singapour, qui n’est pas réputé pour sa culture cinématographique, et qu’un petit film asiatique dont ni le réalisateur ni les acteurs ne bénéficient d’une solide notoriété, même s’il avait fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, n’a pas la force de lutter contre les blockbusters. Authentique parce ce troisième film du réalisateur Eric Khoo lui a été en partie inspiré d’une histoire réelle, celle de Theresa Chan, qui joue son propre rôle dans le film. Émouvant car il nous parle directement au cœur, en évitant toute sensiblerie outrancière mais avec une sensibilité à fleur de peau, simple et sans artifice.
Le début
Un homme âgé tient une petite boutique à Singapour. Après la mort de sa femme, il a perdu le sens de la vie et vit d'automatismes : il cuisine, il ouvre son magasin, puis il le ferme. Son fils, travailleur social, connaît Theresa Chen. Il écrit sa biographie, qu'il laisse son père lire. Un jour, il lui demande de cuisiner un dîner avec Theresa, qu'il souhaite inviter. De son côté, dans l’un des gratte-ciel de Singapour, un garde timide et consciencieux travaille. Il vit avec son père et son frère, qui l’humilient constamment, et a deux passions : manger, ainsi que son amour tacite pour une belle fille travaillant dans une entreprise du gratte-ciel. Il la surveille constamment à travers les caméras de sécurité.
Analyse
Trois histoires s’entremêlent dans la première partie de Be with me, et il faut convenir que l’on n'y comprend pas grand chose au début. La force des images est cependant telle qu’on est happé par la romance moderne de ces deux jeunes filles accros au tchat et aux sms, par l’obsession de ce vigile pour une femme élégante qui travaille dans le même bâtiment que lui ou par ce vieil homme dont l'épouse est en train de mourir à petit feu. Quasiment sans aucune parole, en restant au plus près des visages, l’amour du réalisateur pour ses personnages plus ou moins décalés, et on a envie de dire pour le genre humain en général, transparaît doucement mais sûrement.
Puis Be with me bascule sans qu’on s’en rende compte vers le quasi-documentaire. Il faut dire qu’entre temps est entré en scène le personnage principal de ce film pourtant choral, en ce sens que c'est cette protagoniste qui va révéler l'intrigue, qui va relier cet ensemble a priori disparate. Cette femme s’appelle Theresa Chan. Elle est née il y a 61 ans et a grandit dans un milieu très modeste de Singapour ; elle est devenue sourde et aveugle à l'âge de 14 ans et a perdu d’un cancer le seul homme qu’elle ait jamais aimé. Et pourtant on est stupéfiés de l’énergie que ce petit bout de femme peut déployer pour mordre la vie à pleines dents, sans amertume, et si simplement.
Sa vie nous est présentée grâce à des sous-titres tandis que Be with me la suit dans sa vie quotidienne enseigner à des petits enfants, manger ou faire les courses. Et les histoires entremêlées jusque là nous apparaissent soudain sous un jour nouveau et prennent une dimension universelle. On se rend compte que la forme même du langage cinématographique, faite de très peu de dialogues et de nombreux plans rapprochés, s’adapte finalement naturellement au propos du réalisateur. Et c’est une émotion qui nous étreint quand on comprend que le film ne parle que d’une chose : l’amour. Un amour filial, paternel, marital, qui nous fait regarder différemment l’humanité, dans tout ce qu’elle a de grandiose et de misérable.