Saint Narcisse (2021) Bruce LaBruce
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Saint Narcisse (2021) Bruce LaBruce
Les flèches de l’autolâtrie
Présenté hors compétition lors du Festival de Venise, Saint-Narcisse va bénéficier de sa première française lors du dernier jour du festival en ligne Queerscreen. Son réalisateur, Bruce LaBruce, ne cesse depuis le début des années 1990 d’interroger par son œuvre les normes de la sexualité. Il se fait remarquer avec Hustler white, dont les images explicites et la présence de Tony Ward, l’ancien amant de Madonna, vont alors faire jaser. Avec un style satirique, il va par la suite aborder des thématiques aussi diverses que les activistes d’extrême gauche, les films de zombie ou bien la gérontophilie. Ne cessant de chercher la provocation, il n’hésite pas à intégrer à ses long-métrages de la nudité et de flirter avec la pornographie (voire de s’y essayer). Il prend pour acteur principal de son dernier film le québecois Félix-Antoine Duval, que l’on a vu dans quelques séries télévisées, ainsi que le troublant Andreas Apergis, aperçu dans X-Men: Days of Future Past.
Assis à côté d’une jeune femme dans une laverie automatique, Dominic attend que son linge soit propre. Luttant contre le sommeil, il a des visions d’un jeune moine dans sa robe de bure qui s’avance vers lui. En prenant ses affaires, il se justifie auprès de sa voisine qui le voit ôter un soutien-gorge, en lui expliquant que c’est celui de sa grand-mère. Elle est touchée par le fait qu’il fasse sa lessive et qu’il prenne soin d’elle. Il se jette soudain sur elle et ils font l’amour sauvagement sur la table, sous l’œil curieux de plusieurs passants, dont le moine que Dominic a vu précédemment. Il se réveille alors : tout ceci n’était qu’un rêve. En retournant chez sa grand-mère, il la trouve endormie sur le canapé devant une émission religieuse. Il la met au lit puis jette un œil appuyé au coffre qu’elle garde près de son lit et dont il n’a pas la clé. Puis il va dans la salle de bains, enlève ses vêtements et prend des photos de lui avec un appareil instantané.
L’histoire que nous raconte Bruce LaBruce dans Saint-Narcisse est très référencée. Avec son décalage habituel, il insuffle dans son film, et de façon tout à fait explicite, des allusions à Saint-Sébastien et à Narcisse, sans compter L’exorciste, qu’un jeune moine lit ostensiblement. Soit un mélange iconoclaste d’évocations à la culture homosexuelle et de provocations païennes. Les ermites qui y sont l’objet de méfiance se baignent nus dans une rivière, s’adonnant à des jeux homoérotiques, tandis que des relations incestueuses sont plus que sous-entendues. Le réalisateur canadien n’est pas à une bravade près, et la fin du film ne laisse pas de doute sur ses intentions. On peut s’en offenser ou s’en amuser, le fait est que son film ne peut se résumer à ces simples fanfaronnades. Sur le mode du thriller, il présente le parcours d’un jeune homme à la recherche de ses origines, et dont les pérégrinations vont l’amener à une découverte de lui-même.
Car la trame de Saint-Narcisse s’apparente à celle d’un récit d’initiation, celle d’un jeune homme élevé dans le secret de sa naissance et qui va peu à peu lever leurs voiles. Cela passera par la mort de sa grand-mère et une trouvaille dans un coffre bien scellé, celle de lettres écrites par sa mère et qu’il n’a jamais lues. S’ensuit un road trip vers l’adresse indiquée sur ces correspondances, une bourgade paumée où de sombres histoires se déroulent. On le voit, la narration du long-métrage de Bruce LaBruce s’apparente à un conte de fées rempli de sorcières dont l’allusion est clairement évoquée. Sauf qu’ici bien entendu, elles ont le beau rôle et que les vilains ne sont pas ceux que la société bien-pensante voudrait nous pointer du doigt. Une fois de plus, le réalisateur se refuse à un angélisme conformiste, préférant les anti-héros aux gueules cassées, mais tout de même très sexy. Qu’importe le qu’en dira-t-on, la communauté impie se préserve en vivant d’ailleurs loin du monde.
Et le danger est présent dès le début de Saint-Narcisse, au travers de flashs sombres dont le péril est accentué par une musique stridente et inquiétante. Tout le long du film, Bruce LaBruce va cultiver cette esthétique gothique qui fait passer de nombreuses de ses scènes à un long clip de Laurent Boutonnat, période Tristana. Encore un clin d’œil LGBT friendly, dont le caractère sombre et déconcertant tranche avec ces images de nudité masculine à fleur de peau qui nous ramènent à l’esthétique mythologique de tableaux de la Rénaissance. Les thématiques du désir et du danger ne sont d’ailleurs sans doute pas innocemment confrontées, et l’on sait très bien combien sont tragiques et violentes les trajectoires de Saint-Sébastien et de Narcisse. Au bout du compte, on peut se demander un peu ce que le réalisateur souhaite nous transmettre au travers de cette histoire peu banale, à moins que ce ne soit qu’une parenthèse sombre et enchantée, comme toute libre de toute interprétation.