Mademoiselle de Joncquières (2018) Emmanuel Mouret
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Mademoiselle de Joncquières (2018) Emmanuel Mouret
Les liaisons dangereuses
Lorsque le producteur Frédéric Niedermayer propose à Emmanuel Mouret de réaliser un film en costumes, le réalisateur sort de Caprice, une comédie romantique parisienne. Il choisit alors d’adapter une nouvelle insérée dans dans le roman de Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître, qui avait déjà inspiré Robert Bresson pour ses Dames du bois de Boulogne. Ce film, dialogué par Jean Cocteau et interprété par María Casares, a marqué plus d’un cinéphile et constituait pour Mouret un obstacle, ne sachant comment s’affranchir d’une telle tutelle. Il s’attaque au scénario de Mademoiselle de Joncquières en abordant les personnages sous un autre angle : plus fidèle au récit de Diderot, il va concentrer le début de son film sur la relation entre Mme de la Pommeraye et le marquis des Arcis, ne faisant intervenir le personnage de Madame de la Joncquières et de sa fille, qu’il choisit pourtant comme titre de son œuvre, que plus tard, pour attiser la curiosité des spectateurs.
Dans son château écarté de Paris, Madame de La Pommeraye séjourne avec le marquis des Arcis, qui la courtise depuis quelques temps. Récemment veuve, la marquise cède a ses avances et n’a d’autre ambition que de s’affranchir des élans du cœur et de mener une vie calme. Sa meilleure amie la met en garde contre la réputation du marquis, libertin notoire qui collectionne les conquêtes. Madame de la Pommeraye s’en amuse, y compris auprès de lui, mais va finalement succomber à son charme. Ils mènent alors une passion débordante, sous le regard inquiet de la bonne amie de la marquise. Elle lui narre alors une histoire qui fait grand bruit à Paris : Madame de Joncquières, la fille d’un baron et d’une comtesse. Conçue hors mariage, elle ne pouvait prétendre à aucun titre, mais fut séduite par un duc qui lui promit une union, qui plus tard s’avéra nulle et non avenue. Devant élever leur fille, elle lui intenta un procès qu’elle perdit, se ruinant, la contraignant à s’éloigner de la cour.
Devant Mademoiselle de Joncquières, on se rend compte qu’Emmanuel Mouret aurait très bien pu se faire passer pour un homme du XVIIIe siècle. Les dialogues qu’il conçoit, et qui sonnent faux dans plusieurs de ses films contemporains, glissent ici tout naturellement. Le réalisateur se fond tout naturellement dans une époque dont la littérature truffait de moralistes, discourant sur l’amour, les conflits de l’âme et du cœur. Finalement, c’est le propos principal de Mouret depuis son premier film, lui qui n’a de cesse de mettre en scène des marivaudages et des séducteurs. Son argument est d’ailleurs que les sentiments humains sont constants au travers des siècles, et que la nature humaine se comporte peu ou prou de la même manière concernant les élans de la passion. Seules les conventions, le cadre politique et social vont différer, même si le réalisateur ne va cesser dans son long-métrage de souligner les échos entre les époques.
Nombreux sont les parallèles que l’on peut trouver entre Mademoiselle de la Joncquières et d’autres œuvres. Le matériau originel du film est ici essentiel pour comprendre le cadre dans lequel il se situe. Denis Diderot écrit Jacques le fataliste et son maître durant une vingtaine d’années et paraît peu après que l’on eut découvert Les liaisons dangereuses. L’histoire de Mme de la Pommeraye tout comme le roman épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos mettent en scène des libertins, et tous deux évoquent la vengeance de femmes puissantes. Emmanuel Mouret a tout à fait à cœur de retranscrire l’époque dans laquelle se déroule son récit, tant au travers des costumes, justement récompensés par un César, que par les décors. Il accorde une place de choix à la nature, glissant un clin d’œil aux préoccupations de Jean-Jacques Rousseau, et met en scène des dialogues à fleurets mouchetés, tout empreints de la philosophie des Lumières.
Pour porter Mademoiselle de Joncquières, Emmanuel Mouret s’appuie sur un casting formidable. Les deux protagonistes principaux sont incarnés par un duo inattendu et qui excelle dans l’exercice imposé et néanmoins jubilatoire. Cécile de France illumine le film par sa fraîcheur, qu’on la savait pouvoir exploiter dans les nombreux films qui ont construit sa carrière, mais aussi par tout une palette de sentiments qu’elle laisse transparaître sur sa figure diaphane et qui enrichissent parfaitement son rôle ambiguë, féministe et cruel. À ses côtés, Édouard Baer est une fois de plus étincelant de verve et de bagou, sautillant comme un poisson à l’aise dans un environnement qui lui convient comme un gant. Les seconds rôles, assez peu nombreux, sont tout autant au diapason, que l’on songe à Laure Calamy qui se glisse tout naturellement dans son costume à la jeune Alice Isaaz aperçue à la télévision avant que sa carrière cinématographique ne prenne de l’ampleur.