Cet obscur objet du désir (1977) Luis Buñuel
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Cet obscur objet du désir (1977) Luis Buñuel
Les jeux de l'amour et de la haine
Le roman de Pierre Louÿs justement nommé La femme est le pantin avait été adapté au cinéma par Joseph von Sternberg avec le titre tout aussi évocateur The Devil is a Woman, avec Marlene Dietrich dans le rôle principal. Puis, à la fin des années 1950, Luis Buñuel en écrivit une adaptation, qu'il prévoyait de faire interpréter par Mylène Demongeot et Vittorio De Sica. Or, la production s'y oppose, souhaitant absolument y faire figurer Brigitte Bardot, ce qui n'est pas du goût du cinéaste espagnol, qui finit par laisser la main à Jean Duvivier. Quasiment vingt ans plus tard, il revient sur ce projet et réécrit un scénario avec son complice Jean-Claude Carrière. Ce récit d’une femme fatale se jouant de la passion qu’elle provoque sur un homme lors du carnaval de Séville ne pouvait que séduire le trublion Luis Buñuel. Il profite ainsi de cette libre adaptation du roman pour livrer avec Cet obscur objet du désir un ultime condensé de toute son œuvre, prouvant ainsi que même à 77 ans le malicieux réalisateur n’avait en rien perdu de sa superbe.
Apprenant par son majordome qu’« elle est partie », Mathieu Faber quitte Séville pour Paris et rencontre dans son compartiment plusieurs personnes qu’il connaît par relations interposées. Ces passagers sont une mère et sa fille, un juge, ami du cousin de Mathieu, et un psychologue qui est une personne de petite taille. Puis il aperçoit une jeune femme sur le quai et lui jette un sceau d’eau à la figure. Pressé par ses indiscrets voisins, il finit par raconter l’étrange histoire qui a motivé ce geste curieux . Tout commence lorsque, alors que de nombreux actes terrostistes sont commis, il tente de séduire sa femme de chambre, la troublante Conchita. Or, celle-ci, qui se présente comme une jeune femme de 18 ans a l'air plus âgée, a fait la promesse de rester vierge jusqu'au mariage. Elle résiste à ses avances tout en jouant un double-jeu diabolique qui ne fait que titiller les furieux élans du sémillant quinquagénaire. Cela excite Mathieu, mais il reste sur sa faim. Par exemple, elle pouvait porter un corset tellement serré qu'il n'arrivait pas à l'enlever.
De prime abord, Cet obscur objet du désir apparaît comme l’un des films les plus linéaires de Luis Buñuel. Il ancre d'ailleurs son récit dans un contexte très actuel, en truffant les scènes d'actes terroristes, certes plus ou moins farfelus. C'est en effet à cette époque que sévissait en Europe, et en particulier en Espagne, de nombreuses organisations à vocations séditieuses. La simplicité narrative du long-métrage n’en cache pas moins une œuvre pleine de surprises formelles où s’épanouit élégamment la veine surréaliste de Don Luis. On pourra ainsi croiser tout à trac une femme portant un cochon dans ses bras, un personnage incarné par deux actrices radicalement différentes l’une de l’autre (dont le premier rôle au cinéma de la troublante Carole Bouquet), ce qui n'avait été jusqu'ici jamais été effectué. tout ceci bien entendu sans compter tous ces actes manqués et autres scènes inexpliquées, habituels dans la filmographie du réalisateur et qui laissent magnifiquement le champ libre à l’interprétation.
Et Luis Buñuel de continuer à explorer dans Cet obscur objet du désir toutes les obsessions qui n’ont eu de cesse de parcourir toute son œuvre, à commencer par l'analyse de ces notables qui font régulièrement partie des protagonistes de ses films. Si la religion n’occupe finalement que peu de place dans cet opus (mis à part le rôle secondaire de la mère bigote mais finalement plutôt attachante), on peut en voir les stigmates dans l'éducation catholique qu'a reçue Conchita ou les nombreuses croix qui parsèment le long-métrage, mais aussi dans l’attitude profondément macho du personnage principal incarné par le fidèle Fernando Rey. Mathieu ne peut en effet envisager l’amour de Conchita qu’à travers sa virginité ; ce caractère masculin emprunt du catholicisme ambiant dans les pays du sud le conduit ainsi à la fois à désirer et à craindre la femme, incarnée ici par Conchita. Celle-ci est d’ailleurs typiquement ambivalente : à la madone immaculée qu’est Carole Bouquet répond la sensualité débridée d’Ángela Molina.
Formellement, le film fait la part belle aux artifices, qu'ils soient théâtraux ou purement cinématographiques. Luis Buñuel y intègre de nombreux flash-backs, fait doubler ses interprètes et travaille de façon quasi surréaliste les décors et la lumière. Le spectateur se retrouve devant cette œuvre un peu comme un grand enfant qui s'amuse de ce côté ludique. Et pourtant le fond n'est aucunement vide, en particulier le rapport homme/femme est-il au cœur de Cet obscur objet du désir, dans ce qu’il a de plus mystérieux et de plus impossible. Car comment concilier ces deux visions de la sexualité aussi opposées l’une de l’autre ? Une ambiguïté parfaitement résumée dans cette relation entre un homme furieusement jaloux qui poursuit une chimère : ce qu’il désire le plus intiment chez la femme qu’il aime, sa pureté, il cessera aussitôt de le posséder une fois l’acte consommé. L’inversion des rôles est alors subtilement signifié, la diablesse tentatrice devenant victime d’un obsessionnel compulsif. À moins que ce ne soit l’inverse…