Épisode 32 : Un autre regard
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Épisode 32 : Un autre regard
Une fois seul, la porte dûment refermée, Siegfried se recroqueville sur lui-même.
Il a repris des forces, il ne se laisse plus aller, mais cette fois-ci, son estomac tombe comme une pierre et son cœur le suit bientôt dans son ventre. Son combat est désespéré et désormais, il le sait. Rien de ce qu'il pourra faire ne pourra lui récupérer son âme et son salut. C'est maintenant qu'il réalise toute la portée, et surtout toute l'horreur, du marché qu'il a accepté il y a quinze ans. Certes, même à l'époque, il se rendait déjà compte qu'il s'agissait de quelque chose d'énorme. Mais c'est maintenant qu'il en réalise la véritable dimension.
Rien de ce qu'il peut avoir à offrir ne peut égaler la valeur de ce qu'il a dû donner en échange. Même s'il était assez riche pour posséder la fortune du monde entier, rien de tout cela ne lui rachèterait son âme. Il le comprend maintenant.
En lui proposant d'effacer le marché et de tout remettre à zéro, le diable lui proposait déjà une extraordinaire "remise", mais il ne la lui a proposée à Koerich que parce qu'il savait très bien qu'il dirait "non". Qu'il n'aurait jamais le courage d'aller jusqu'au bout. Ou tout simplement parce qu'il ne le pouvait pas. Trop de choses se sont construites sur et autour de ce petit château, et maintenant, quinze ans plus tard, il ne peut plus revenir en arrière.
De toute façon, maintenant, même si, par extraordinaire, il en faisait la proposition, Siegfried sait très bien que le diable dirait "non". Quel bien temporel peut racheter un salut éternel ? Quel bien matériel peut racheter un salut spirituel ?
Le diable a toujours eu un avantage, depuis le début : lui, il savait la valeur réelle de ce qu'il exigeait en échange, et maintenant qu'il l'a obtenu, il ne le lâchera plus.
Et comment Dieu pourrait-il pardonner à Siegfried alors que ce dernier s'est adressé volontairement au diable et a accepté son marché librement et de son plein gré ?...
À cette idée, Siegfried a un rire sarcastique. Librement et de son plein gré, ouais. Il a fait un marché de dupes, oui !...
À Koerich, le diable reprochait à Siegfried de lui proposer un marché de dupes, mais c'est Siegfried qui en a fait un il y a quinze ans. Et le diable, lui, est bien trop malin pour revenir dessus aussi facilement.
Siegfried est lié par la parole qu'il a donnée - sans aucune contrainte, il doit bien le reconnaître. Ou du moins sans contrainte autre que matérielle. Il lui fallait un château dans sa seigneurie de l'Alzette. Une seigneurie qu'il a acquise pour... à cause de... non, non, il ne veut pas penser à ça. Il se prend la tête dans les mains et ferme très fort les yeux pour ne pas y penser.
Et pourtant... Si Mélusine avait accepté de le suivre à Koerich comme le veulent les usages, rien de tout cela ne serait arrivé. Ils vivraient un bonheur champêtre sans contraintes sur leurs terres à Koerich, parfois peut-être à Feulen de temps en temps quand ils auraient eu envie de changer d'air, et cela leur aurait largement suffi. Pourquoi donc Mélusine avait-elle refusé tout cela ? Jusqu'à présent, Siegfried a toujours pensé qu'elle méritait largement tous les sacrifices, mais maintenant, il commence à se demander si son obstination à ne pas quitter le Bockfiels valait vraiment la peine de lui faire vendre son âme. Que représente vraiment le Bockfiels pour elle, pour qu'elle y tienne à ce point ?...
Siegfried ne veut pas suivre plus avant le fil de telles pensées. Il a peur de deviner où elles pourraient le mener... Il ne veut pas poursuivre dans cette direction-là.
Mais maintenant, le Bockfiels, et ce petit château qui s'est construit dessus à la place du vieux fort, commencent à lui faire horreur. Parce que c'est à cause d'eux que tout est arrivé.
Malgré tout, il ne veut pas rester sans rien tenter. Il ne s'imagine pas passer les quinze prochaines années à se contenter de voir le temps s'écouler et à attendre dans la plus grande angoisse que les choses se passent.
S'il ne peut pas racheter son âme au diable, peut-être peut-il sauver sa situation en se rachetant un peu d'indulgence à Dieu à force de sacrifices.
Or que signifie un sacrifice sans souffrance ? Quelle valeur a un sacrifice sans privation ?...
Désormais, il décide de mener une vie de pénitent. Une vie de sacrifices et de douleurs. De douleurs qui réussiront peut-être à effacer celle qui est la sienne aujourd'hui.
Et le premier sacrifice qu'il va s'imposer, le plus difficile peut-être de tous, c'est de se priver du soulagement auquel il aspire le plus ardemment en ce moment : le contact de Mélusine.
Pour se donner du courage, il va prier. Lui dont la pratique s'est toujours résumée à un strict minimum de quelques rituels exécutés de façon superficielle, il va apprendre à prier. Comme un vrai moine. Et pour commencer, il ôte ses vêtements de nuit pour s'exposer au froid, dans cette chambre que le feu de l'âtre arrive à peine à réchauffer. Il se met à genoux sur le carrelage dur, froid et humide. Et une fois agenouillé, il récite, plusieurs fois de suite, la seule prière qu'il connaît, et encore, à peu près : le Notre Père.
Musique : Miserere mei, Deus - Allegri - Tenebrae conducted by Nigel Short
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos