Épisode 14 : D'autres possibles
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Épisode 14 : D'autres possibles
Enfin - dire que Mélusine n'aurait jamais voulu d'un autre destin, c'est beaucoup dire.
Ce qui est vrai, c'est qu'elle n'aurait jamais voulu être ailleurs qu'aux côtés de Siegfried, quelles que soient les circonstances et quel qu'en soit le prix.
Mais il lui arrive souvent de penser - sans oser le dire à Siegfried - que les choses auraient pu être bien différentes, si seulement il avait accepté de vivre simplement avec elle dans sa grotte de ce que la nature avait à leur offrir. Ils auraient eu tout le Bockfiels pour eux en guise de château. Avaient-ils besoin de plus ? Mais qui au monde peut bien avoir besoin de plus ?
Ah oui, bien sûr - les humains. Évidemment. Ces satanés humains avec leur satanée société et leurs satanées complications. Comme s'il était obligatoire de vivre dans un château pour vivre heureux. Comme s'il était obligatoire de vivre dans toute une société avec des gens à qui on n'a rien à dire, avec qui on n'a rien à faire, dont on n'a rien à apprendre et avec qui on ne fait que jouer une mascarade sans rime ni raison, pour être heureux. Les humains disent que la vie de château, c'est le bonheur. Mélusine, elle, trouve que du temps où elle vivait dans sa grotte, elle était bien plus heureuse. À la limite, elle se serait bien contentée du vieux fort, même s'il était en ruines. Depuis qu'elle vit la vie de château et qu'on l'appelle "Madame la Comtesse", elle n'a pas trop de la magie de l'amour de Siegfried - et aussi de la présence de leurs enfants, il faut le reconnaître - pour supporter ce qu'est devenue son existence.
En dehors de ça, heureusement qu'elle a ses samedis, son jour de la semaine où elle peut se permettre de redevenir une sirène et de laisser parler sa vraie nature. C'est là qu'elle renouvelle le sortilège et lui permet de durer. C'est aussi ce qui lui permet de garder son équilibre et de ne pas sombrer dans la folie. La forêt lui manque, elle regrette celle qui a disparu. Remplacée par quoi ? Par encore plus d'humains et encore plus de pierres. Maintenant, il est de moins en moins pratique pour elle de nager dans l'Alzette. Du moins sans se faire remarquer.
Le pire de tout, c'est que Siegfried n'a même pas l'air heureux dans son château. Pourtant Dieu sait s'il tenait à le construire, à l'époque. Elle se souvient aussi que c'est à partir du moment où il a cherché à le faire construire que son humeur, parallèlement, a commencé à se dégrader.
Avant sa construction, il était juste souvent énervé parce que les choses n'allaient pas comme il l'aurait désiré. Elle avait bien parfois tenté de le calmer et de le consoler en lui disant que ce n'était pas grave, que ce n'était pas important, qu'elle n'avait jamais demandé qu'il lui construise tout un château, qu'elle avait d'ores et déjà le sien avec le Bockfiels, qu'elle était déjà heureuse ainsi et qu'elle n'avait pas besoin de plus. Que tout ce qui pouvait faire son bonheur, c'était de l'avoir, lui, à ses côtés. Que c'était cela qui comptait pour elle, et rien d'autre.
Mais, et à cela elle n'avait jamais rien compris, lui dire ces choses-là, c'était le bon moyen de se disputer avec lui. Il s'emportait en lui répondant qu'il y avait des réalités de la vie qu'elle avait décidément du mal à comprendre, parfois même qu'elle ne comprenait rien à rien, que son rang lui interdisait de se contenter de vivre avec elle dans une grotte.
Bien sûr, très vite après, il revenait vers elle, lui présentait ses excuses, lui demandait pardon de s'être emporté, de ses paroles blessantes, l'assurait que la colère l'avait emporté loin au-delà de ses pensées, la suppliait d'oublier. Il lui offrait un bijou pour la parer, un beau vêtement pour l'habiller, il ne savait plus quoi faire, il était si perdu. Elle était touchée, même s'il ne s'agissait pour elle que de babioles sans aucune valeur dans son monde d'origine à elle. Comme sirène, n'avait-elle pas toujours vécu nue, sans autre vêtement et sans autre parure que sa longue chevelure d'or qui la voilait à l'époque de la tête au bout de la nageoire caudale et qui la voile aussi maintenant de la tête aux pieds ?
Mais elle comprenait qu'il lui parlait ainsi son langage d'humain, un langage dans lequel les humains offrent des présents à ceux qu'ils aiment. Alors elle se rappelait les oiseaux qui construisent des nids et qui offrent des branches, elle se rappelait les parades nuptiales des animaux, elle en concluait que finalement, les humains ne sont pas tellement différents au fond, et elle le laissait revenir, mais elle avait compris que le sujet était très sensible et qu'il valait mieux l'éviter. Alors elle n'avait plus rien dit et elle l'avait laissé faire. Mais elle n'avait pas pu s'empêcher de penser à part elle que décidément, les humains étaient bien compliqués.
Musique : Yonder Dale - Simple Gestures
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Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos