Geerty prend une bonne inspiration, expire un bon coup, puis entreprend d'expliquer sa position.

- Vous savez, Madame la Comtesse, sauf votre respect... Je vous l'ai dit : moi, à votre place, j'aurais réagi exactement pareil que vous. Seulement voilà... Quelqu'un qui regrette sincèrement le mal qu'il a fait et qui est réellement prêt à changer, il mérite qu'on lui laisse une chance. Enfin moi je trouve. Et puis... Vous connaissez la prière Notre Père ? Celle que Notre Seigneur nous a apprise ? Dans le Notre Père, on dit à un moment donné : "Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés". Autrement dit, Dieu ne nous pardonnera nos péchés que si nous, nous savons aussi pardonner à ceux qui ont péché contre nous.

- C'est le Père Adalbéric qui vous a appris tout ça ?

- Pas spécialement. Je vais à la messe tous les dimanches, j'ai appris mes prières quand j'étais toute petite et je les récite tous les jours. Vous récitez bien aussi vos prières tous les jours, Madame la Comtesse, non ?

Euh... passons.

- Donc, si je vous comprends bien, le raisonnement, c'est : j'ai moi-même des choses à me faire pardonner, donc dans mon propre intérêt, si je ne veux pas qu'on les retienne contre moi, il faut que je pardonne aux autres s'ils m'ont fait du tort ou du mal ?

- C'est ça.

- Et si je n'ai rien à me faire pardonner ? Je fais quoi ? Je suis toujours obligée de pardonner aux autres tout et n'importe quoi ?

- Madame la Comtesse... Sauf votre respect, êtes-vous sûre que vous n'avez jamais rien eu à vous faire pardonner de toute votre vie ? Vous n'avez jamais fait de bêtises ni souhaité qu'on les oublie ?

- Je ne veux pas prétendre que je suis parfaite, mais il faut voir la gravité de la bêtise aussi. J'ai certainement fait quelques petites choses stupides dans ma vie, mais je n'ai jamais rien commis de comparable à ce que Monsieur le Comte vient tout juste de me faire subir.

- Vous n'avez sans doute pas fait la même chose que lui. C'est vrai qu'il vous a très gravement offensée. Mais vraiment, à vous, il ne vous est jamais arrivé de vous mettre en colère ? Il ne vous est jamais arrivé de mentir ?

Hum... là aussi, c'est un fait... Mélusine doit bien reconnaître qu'il vaut mieux qu'elle passe son tour.

- Vous voyez, Madame la Comtesse. Sauf votre respect, tout le monde a quelque chose à se faire pardonner dans la vie. Et puis de toute façon, un bon chrétien doit pardonner. Vous ne voulez pas être une bonne chrétienne et aller au Paradis ?

Alors là, avant d'être une bonne chrétienne, il faudrait déjà commencer par être une chrétienne tout court - bonne, ou mauvaise, ou aucun des deux. Mélusine préfère passer sous silence à quel point les discours du Père Adalbéric ne lui parlent qu'une langue étrangère. Puisque chez les humains, il ne fait pas bon penser différemment - ni être différent en général de toute façon. Par contre, cette histoire de mensonge à se faire pardonner... ça, c'est peut-être à prendre beaucoup plus au sérieux. Après tout, Mélusine aussi a un secret qu'elle n'aimerait pas que quiconque découvre. Surtout pas lui, justement.

- Alors, Madame la Comtesse, qu'est-ce que je dois répondre à Monsieur le Comte ?

Mélusine réfléchit quelques secondes.

- Dites-lui que je vais y réfléchir.

Musique : Max Richter, Mari Samuelsen - Mercy

Épisode 41 : Délibération

Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos