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Épisode 77 : Schizophrénie

Épisode 77 : Schizophrénie

Publié le 30 janv. 2025 Mis à jour le 30 janv. 2025 Conte
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Épisode 77 : Schizophrénie

- De quoi parlais-tu avec le Père Adalbéric pendant aussi longtemps ?... J'ignorais que tu avais autant de choses à lui raconter...

Comme le Père Adalbéric l'avait bien supposé, Siegfried est au courant de l'entretien que Mélusine vient d'avoir avec lui.

Et le ton adopté par Siegfried pour parler à Mélusine est le ton doucereux et plein de sous-entendus de Siggi le Fou.

Mélusine ne se laisse pas démonter pour autant.

- Jusqu'à preuve du contraire, que je sache, je suis bien la comtesse de Lucilinburhuc, châtelaine de la Petite Forteresse. Je peux donc parler avec les habitants de ce château, lesquels bon me semblera, autant d'entre eux que bon me semblera, autant de fois que bon me semblera et aussi longtemps que bon me semblera. La même chose vaut pour les habitants de Lucilinburhuc et pour tous ceux du comté de la vallée de l'Alzette. Ce qui se passe dans ce château, dans cette ville et dans ce comté me concerne autant que toi, Siegfried. Et je te rappelle que cela va faire bientôt dix ans que je m'en occupe autant que toi. Et aussi qu'à une certaine époque, j'étais bien contente d'avoir le Père Adalbéric pour me seconder alors que toi, tu arrivais à peine à tenir debout sur tes deux pieds. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que de loin en loin, je passe un peu de temps à m'entretenir avec le Père Adalbéric.

- Oui. Sauf que le temps dont tu parles là est révolu depuis longtemps. Cela fait bien des années que j'ai repris mes fonctions normales au château, dans la ville et dans le comté. T'entretenir avec le Père Adalbéric ne t'est depuis longtemps plus aussi nécessaire qu'en ce temps-là. Et à ma connaissance, depuis lors, il ne vous arrive pas si souvent que ça de papoter ensemble. Je suis sûr d'ailleurs que même en ce temps-là, vos conversations n'étaient pas aussi longues.

- Nos conversations, comme celles que j'ai avec n'importe qui d'ailleurs, sont aussi longues que nécessaire.

- "Comme celles que tu as avec n'importe qui". Tiens, voilà une chose bien intéressante à entendre... Je te demanderai certainement dans pas longtemps quels sont ces "n'importe qui" avec lesquels tu juges parfois nécessaire de t'entretenir longtemps. Et sur quoi portent vos entretiens, aussi. Quand je te poserai la question, je ne veux surtout pas entendre "rien d'important". Si les sujets que vous abordez n'ont rien d'important, pourquoi donc éprouveriez-vous le besoin de vous en entretenir longtemps ?... Mais je ne me laisserai pas distraire aussi facilement. Revenons donc au Père Adalbéric. De quoi discutiez-vous donc pour avoir une conversation aussi longue ? Le genre de conversation qui en principe n'est plus nécessaire entre vous depuis bien longtemps ?... Je ne vois rien dans les affaires récentes du château, ni dans celles de la ville, ni dans celles du comté, qui justifie entre vous un entretien aussi long.

Mélusine soupire bruyamment.

- Tu vas me mettre encore longtemps à la question comme ça ?...

Siegfried - ou Siggi le Fou - répond par un large sourire.

- Aussi longtemps que nécessaire.

- Tu me fatigues, Siegfried.

- À la bonne heure. Plus tôt tu me donneras des réponses, moins je te fatiguerai. C'est à toi de voir.

Mélusine envisage la possibilité de parler d'un quelconque projet de foyer d'hébergement pour orphelins ou pour jeunes filles en détresse, mais comme elle n'a pas du tout abordé ce genre de sujet avec le Père Adalbéric, et comme sa seule véritable raison d'aborder le prieur du château était de parler de Siegfried, elle craint que l'absence de concrétisation ou d'entretiens ultérieurs - ou pire encore, la perplexité du Père Adalbéric s'il venait jamais à l'esprit de Siegfried de le tester à ce sujet - la trahisse par la suite, et même assez vite. Dommage que ni elle ni lui n'aient envisagé de fournir un prétexte pour justifier leur entrevue au cas où ce serait nécessaire. Mais aucun des deux ne s'attendait à voir Siegfried se montrer aussi inquisitif. Auparavant, il n'était pas ainsi. Et puis, pourquoi penser à se justifier quand on sait qu'on n'a rien fait de mal ? Quand tout ce qu'on pensait faire était agir pour le mieux ?

- Depuis quand dois-je te rendre ainsi des comptes sur chaque instant de mon emploi du temps ?

Il lui saisit un poignet dans une main de fer.

- Depuis que nous sommes mariés. Depuis que tu es ma femme.

Elle émettrait bien un cri de douleur, mais la voix de Siegfried gronde.

Ou plutôt la voix de Siggi le Fou.

Et le regard qui se plante dans le sien quand elle le lève vers lui, c'est celui de Siggi le Fou.

Elle inspire dans un cri, comme on le fait quand on a peur.

- Ahaa ! Aurait-on quelque chose à cacher, ma jolie ?...

Il la plaque contre le mur, se rapproche d'elle jusqu'à la toucher et de sa main libre, il lui écarte des mèches de cheveux du visage. Elle se recule autant qu'elle le peut encore.

- Avoue que c'est tentant de tester la résistance d'un homme qui a fait vœu de chasteté...

- Arrête, Siegfried, tu dis n'importe quoi.

Mélusine hait la voix rauque et faible qui sort de sa gorge quand elle répond.

Siggi le Fou, lui, rigole.

- Je dis n'importe quoi ? En es-tu vraiment sûre ?...

Il laisse son visage parcourir celui de Mélusine à faible distance, sans la toucher.

- Après tout, tu as bien réussi ton coup une fois... Pourquoi ça ne marcherait pas une deuxième ?... C'est toujours enivrant de savoir que l'on a un pouvoir...

Mélusine hait ce corps faible et lâche qui est le sien, séduit par le souvenir de leur nuit de réconciliation, alors que Siggi le Fou ne cherche qu'à lui faire mal et qu'il ne fait rien d'autre que la torturer, physiquement et mentalement.

- Arrête avec ça, Siegfried.

Siegfried, Siegfried, où es-tu, où te caches-tu ? Je te parle à toi, je parle au vrai Siegfried - pas à cette entité horrible qui se cache dans ton corps et qui se fait passer pour toi, mais qui n'est pas toi.

Ou bien a-t-elle été séduite cette nuit-là en réalité par Siggi le Fou ?...

C'est une idée qui malgré elle, lui vient de plus en plus souvent à l'esprit... qui lui fait peur et qui salit tout ce que ce souvenir contenait de beau, de merveilleux, de miraculeux. Elle n'aime pas y penser. Elle chasse cette idée quand elle lui vient en tête... Et pourtant ?...

- Ah, tu le voudrais bien, que j'arrête, hein... Ben oui, je sais, ce n'est pas agréable d'être confronté à tout ce qu'on porte en soi de pas reluisant... pas agréable du tout... je comprends bien ça... Bon, après tout, peut-être que pour une raison ou une autre, tu as brusquement pris un grand intérêt à la religion, je ne sais trop pourquoi... J'avoue tout de même que j'ai du mal à y croire, après toutes ces années... Le moins qu'on puisse dire, c'est que tu as pris ton temps... Bon, peut-être aussi est-ce parce que tu me vois devenir un vieux bonhomme... Jusqu'à présent, c'est moi qui te couvre pour toutes ces questions-là... Mais sans moi, tu passerais très vite pour une païenne... Et dans nos contrées, tu sais bien ce que ça signifie... Tu tiens à la vie... et à ton intégrité... Et tu te rends compte que je ne serai pas toujours là... alors tu penses à ton avenir... c'est ça ?

C'est plus fort qu'elle. Mélusine crache au visage de Siggi le Fou.

Elle le défie du regard.

- Tu veux quoi, Siegfried ? Tu veux qu'on se haïsse toi et moi ? C'est ça ?

Siegfried, elle ne le hait pas, non. Elle ne peut pas le haïr. Elle ne l'a jamais pu, pas même les fois où il l'aurait mérité. Siegfried, elle l'aime, éperdument, pour l'éternité.

Mais Siggi le Fou, ce séducteur trompeur menteur qui ne séduit que pour mieux torturer et pour mieux détruire, oui, elle le hait.

Le problème, c'est que les deux cohabitent dans un seul et même corps.

Comment va-t-elle pouvoir gérer ça ?...

- Se haïr ?... Si c'est ce que tu veux, Mélusine... Moi je ne voyais pas ça comme ça... Je me disais juste que ton intérêt soudain pour la religion était pour le moins bizarre... pour la religion ou bien pour... le Père Adalbéric ?

La tension fait éclater Mélusine d'un rire hystérique. Le Père Adalbéric. Vraiment. N'importe quel homme en dehors de Siegfried la laisse déjà indifférente, mais en plus, le Père Adalbéric, alors là, ce vieux bonhomme sans charme et sans grâce... ça devient carrément ridicule.

Siggi le Fou fait mine d'avoir une nouvelle idée.

- Quoique la religion puisse avoir son attrait après tout. Parce que dans notre religion, on confesse ses péchés... on vide son sac de tout ce qui pèse sur le cœur... un prêtre nous dit que nos péchés sont pardonnés, "ego te absolvo"...

... en lui traçant de l'index et du majeur de sa main libre un signe de croix sur le front...

- Et puis ça repart de zéro... Et peut-être que toi aussi, tu avais la conscience tellement chargée que tu avais besoin de repartir de zéro... Dis-moi, Mélusine, quand tu étais chez le Père Adalbéric, as-tu passé tout ce temps à te confesser ? Tu avais sûrement les péchés de toute une vie à lui confesser... Es-tu sûre que tu n'as pas quelques... péchés à me confesser à moi aussi ? Hm ?... Sauf que moi, je ne suis pas sûr que je te les absoudrais, ces péchés-là... tu me connais... je ne suis ni Dieu ni prêtre... Je suis le comte Siegfried, juste et inflexible...

Non, tu n'es pas le comte Siegfried.

Tu es juste Siggi le Fou, qui lui usurpe son corps, son nom, tout ce qu'il a... et même sa femme... c'est-à-dire... moi...

De nouveau ce frisson glacé le long de sa colonne vertébrale.

Puis un accès de dégoût. Une vague de nausée qui soulève son corps.

Alors elle se rappelle qu'elle a encore une main libre.

Elle lui pose cette main sur la poitrine, le repousse, arrache son autre main de son étreinte de fer, puis se précipite en courant vers la porte et s'enfuit à travers le couloir.

Pas vers leur chambre, non. Vers ce qui fut encore naguère son boudoir. Où elle s'enferme à clé.

En fuyant, elle entend derrière elle résonner son rire. Pas le rire presque méchant mais sans l'être vraiment, qu'elle a entendu l'après-midi avant leur nuit sacrée. Non. Un rire cruel, puis franchement violent.

Un rire qui lui fait peur.


Musique : Pelléas et Mélisande : XI. Duel. Épée de jalousie (Live)


Épisode 78 : Scepticisme


Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos

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Commentaires (3)

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Jackie H verif

Jackie H il y a 6 heures

"s'il y a un don, c'est l'imagination, c'est de savoir déformer le réel"... j'ai bien aimé cette phrase 🙂

jean-françois Joubert verif

Jean-François Joubert il y a 6 heures

la problématique est, ce fantôme d'être que je suis devenu Hermite et reçois des injures sur une pathologie journalistque.... jusqu'à la France est shyzophrène... Qu'est-ce que c'est être multiple. non, je suis singulier

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