Épisode 65 : Alternatives
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Épisode 65 : Alternatives
Siegfried a sans doute retrouvé son assurance, sa fierté et sa combativité, mais il lui reste tout de même un problème à résoudre, et non des moindres : s'il renonce à sacrifier sa relation avec Mélusine, que pourra-t-il offrir à la place, pour son salut, qui ait une valeur suffisamment approchante pour être prise en compte pour le rachat de son âme ?...
Ce qui faisait toute la valeur du sacrifice de sa relation avec Mélusine, c'était le besoin viscéral, quasi vital, qu'il a d'elle.
La sensation qu'il a d'être guéri et de s'être retrouvé lui-même lui dit que faire ce sacrifice était, et serait encore, une erreur.
Sans parler de son caractère unilatéral et de la souffrance qu'il infligerait inévitablement à Mélusine. Il a commis cette erreur une fois. Il n'a pas envie de la commettre une deuxième. Il ne veut pas la reperdre - parce que cette fois, il le sent, il le sait, ce serait définitif. Qu'elle ait pu lui pardonner une fois est déjà un miracle en soi. Et en partant, elle lui arracherait la moitié de lui-même. Il ferme les yeux, il soupire. Il ne peut pas. Ses mains se referment sur elle comme des pinces de métal.
- Aoutcha, Siegfried, tu me fais mal.
Les pinces de métal s'adoucissent, se font caressantes pour estomper la douleur.
- Pardon, Mélusine. Pardon.
Il n'y peut rien, il ne peut pas s'en empêcher. C'est sa Mélusine. Il ne la perdra pas, cette fois. Il la gardera. Tant pis pour le prix à payer.
Mais ses yeux maintenant regardent au loin, cherchant une solution à son problème au-delà de l'horizon.
Sauf que comme il aurait pu s'y attendre, l'horizon, tout comme Dieu, reste désespérément muet et sourd à ses appels.
Il ne voit pas ce qu'il pourrait donner de plus que tout ce qu'il a déjà donné jusqu'à présent, et tout ce qu'il donne encore maintenant. En vain. Il ne continuera pas à sacrifier Mélusine en vain.
Mais il n'a plus rien à donner d'autre.
Il est déjà devenu l'homme pieux qu'il n'a jamais été dans sa jeunesse. Il a renoncé aux plaisirs de la vie, il se tempère au maximum dans tout ce à quoi son statut et son rang l'empêchent de renoncer, il fait des largesses avec sa fortune et les gardiens de la religion en sont les tout premiers bénéficiaires. Il élève ses enfants avec sévérité, il mène ses gens de maison à la baguette de ses colères et le petit peuple de son comté avec une inflexible droiture. Il prend soin de montrer à tous où est le droit chemin. Sincèrement, il ne voit pas ce que quiconque pourrait encore lui demander de plus.
Et pourtant... aucun soulagement. Aucun déclic, aucun signe qui lui indique que ses sacrifices ont servi à quelque chose. Aucun couteau ne tranche ce nœud coulant qui lui enserre l'estomac parfois jusqu'à la nausée.
Alors... à quoi bon. À quoi bon sacrifier encore la seule qui lui permette de récupérer le peu qu'il reste encore de son âme, de son vrai moi... si de toute façon cela ne sert à rien ?
Parfois il en vient à accuser Dieu et ses saints de l'avoir abandonné depuis le départ. S'ils avaient écouté ses prières, s'ils lui avaient ouvert une porte, s'ils lui avaient apporté une solution à son problème de l'époque, jamais il ne se serait senti acculé à faire appel au diable. S'ils lui avaient porté secours, jamais il n'y aurait eu recours. Jamais il n'aurait eu à vendre son âme pour obtenir ce dont il avait besoin. Et il ne se trouverait pas obligé d'essayer tout ce qu'il peut pour tenter de la racheter aujourd'hui.
Quand de telles pensées lui viennent, il se sent coupable, se met immédiatement à genoux et prie ardemment Dieu et tous les saints de lui accorder leur pardon. Mais le pire, c'est la petite pensée traîtresse qui s'insinue en lui, insidieusement, à ces occasions-là. Une petite pensée qui prend la forme d'une question qui tue...
Pourquoi Mélusine ne l'a-t-elle pas tout simplement suivi à Koerich à l'époque quand ils se sont mariés, comme le veulent les usages ?...
À l'époque, elle lui a fait promettre de ne jamais lui poser de questions à ce sujet précis. Il l'a écoutée, il a promis. Et jusqu'à présent, il a tenu sa promesse. Mais était-ce vraiment une si sage décision ?...
- À quoi penses-tu, Siegfried ?
La main de Mélusine vient lui caresser doucement la joue et la barbe.
Si tu savais, Mélusine. Si tu savais...
- À nous deux.
Mieux vaut parfois ne pas trop en dire.
Il la regarde. Douce. Tendre. Préoccupée. Il lui sourit. La main qui lui serre la taille s'en vient lui prendre celle qui lui caresse la joue. Il aime tellement ses yeux aux profondeurs de pierre précieuse. Ses yeux qui l'interrogent.
- Et tu en penses quoi ?
Il porte la main qu'il a prise à ses lèvres pour y déposer un doux baiser.
- J'en pense qu'il faut qu'on arrête de faire n'importe quoi tous les deux.
Il la sent se raidir brusquement contre lui. Il lui fait glisser le bras le long de son cou et lui serre à nouveau la taille.
- Rassure-toi. Je ne le disais pas dans le sens que tu crains.
Sa voix est douce et chaleureuse, et il sent le corps de Mélusine se détendre contre le sien.
- Je suis revenu dans ta vie, c'est pour y rester. Et je ne te laisserai pas sortir de la mienne. Suis-je assez clair ?
Il penche le visage vers cet autre visage levé vers lui. Vers ces yeux élargis par un espoir sauvage auquel elle n'ose pas encore croire. Un baiser doux et rapide sur ses lèvres entrouvertes.
- Reviens dormir dans notre chambre. Tu y as droit. C'est chez toi. Nous sommes mariés. Tu es ma femme. C'est chez toi.
Il baisse encore la voix.
- Tu n'as pas d'excuse à donner. Tu n'as pas à te justifier. C'est chez toi. C'est chez toi... C'est notre château.
Oh Siegfried. Qui es-tu, Siegfried ?
Mélusine se dresse sur la pointe des pieds, lui passe les deux bras autour du cou. C'est elle qui l'embrasse. Lui qui répond.
Quand elle replace enfin la tête dans le creux de son épaule, le visage à l'abri du garde-fous, c'est lui qui, de nouveau, regarde au loin vers l'horizon.
En espérant qu'il saura la protéger de ses propres tourments. Et, aussi, résoudre son problème en trouvant le moyen de racheter son âme.
Musique : Jean-Louis Murat - Col de la Croix-Morand
Épisode 66 : Le regard des autres
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos