Épisode 31 : Réveil
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Épisode 31 : Réveil
Les jours passent. Les circonstances du retour de Monsieur le Comte continuent d'intriguer à la Petite Forteresse, mais le monde continue de tourner et la vie normale, peu à peu, reprend ses droits. Ou tout au moins une vie à peu près normale.
Siegfried est toujours affaibli, n'a que peu d'appétit, et son humeur est toujours aussi exécrable, mais petit à petit, il reprend des forces. Mélusine y veille personnellement. Le nœud coulant autour de l'estomac de Siegfried lui coupe encore toujours l'appétit, mais au moins il n'a plus de fièvre, ne délire plus, ses enfants peuvent lui rendre visite et avoir face à eux un père à peu près normal. Il est frappé par le calme et la maturité de Heinrich, son fils aîné.
Au château, c'est Mélusine qui tient les rênes - et qui est la première à se demander par quel miracle elle y arrive et parvient encore à mener de front la gestion du château et de son personnel, la convalescence de son mari et l'éducation des enfants - en attendant le moment où Siegfried sera enfin en état de reprendre son rôle.
Mais du haut de ses treize ans, c'est Heinrich qui rassemble autour de lui toute sa fratrie, qui les protège et qui soutient leur moral à tous. Il lui arrive même de donner aux domestiques des ordres tout à fait pertinents. Siegfried ne peut pas s'empêcher d'avoir respect et admiration pour ce bout de petit bonhomme qui s'affirme en son absence comme le petit homme de la maison. Le personnel est lui aussi tenu en respect par le sérieux de cet enfant, tout en le plaignant déjà de devoir grandir trop vite.
La crise semble donc s'estomper petit à petit à Lucilinburhuc... Jusqu'au jour où, au détour d'un matin, en se réveillant brusquement d'un cauchemar qui le fait hurler à la fois de colère et de terreur, Siegfried retrouve la mémoire de ce qui s'est passé à Koerich.
Il s'en réveille tremblant et en sueur - et il sait immédiatement que ces événements-là, il ne pourra jamais ni les oublier, ni en parler à quiconque.
Pourtant le cri de détresse qui est parti du fond de ses entrailles et qui a trouvé son chemin à travers sa gorge a résonné des caves jusqu'aux combles à travers toute la Petite Forteresse, donnant immédiatement l'alerte générale. Personnel et famille, brutalement tirés du sommeil, le sang d'abord glacé par ce cri, se retrouvent très vite dans un deuxième temps sur pied de guerre.
Chacun se hâte à travers les couloirs jusqu'à la chambre où Siegfried, assis sur son lit et tremblant de froid dans ses vêtements de nuit, les voit tous à peine, les yeux exorbités, en proie à une terreur sans nom. Toute personne qui l'approche, il la repousse. Quelqu'un a la présence d'esprit de vérifier l'âtre et de remettre des bûches dans le feu. Tous se rassemblent autour du lit, à bonne distance toutefois, autant par curiosité que par inquiétude à vrai dire, mais sans savoir quoi faire pour gérer la situation. Et une fois encore, comme le jour du retour de Siegfried, c'est la voix si différente et extraordinaire de Mélusine qui s'élève au-dessus de la rumeur, calme le tumulte et ramène son homme à la raison.
Mais cette fois-ci, écrasé de honte, Siegfried baisse la tête et se cache le visage dans les mains. Il a honte. Honte. Honte.
Certaines paroles ne s'oublient pas, se gravent dans son esprit, le brûlent à jamais.
- Celui qui est capable de se vendre lui-même n'est-il pas d'autant plus capable de vendre quelqu'un d'autre ?
- Ton amour serait-il encore aussi pur et aussi fou si me vendre ta femme te permettait de te sauver toi-même ?
Siegfried lutte désespérément contre l'horrible perspective que ces paroles laissent entrevoir.
Certes, à Koerich, il a bien tout fait pour défendre ce qui lui est cher. Mais il ne s'agissait, après tout, que d'un "simple" sacrifice expiatoire... et même à ce titre-là, il a bien livré au diable ses trois meilleurs chevaux. Dont son bien-aimé, son fidèle Wanterglanz... Si livrer Mélusine aux flammes de l'enfer lui avait permis avec certitude de sauver sa propre âme en perdition, l'aurait-il fait ?
Le pire de tout, c'est qu'il ne peut même pas être sûr de répondre à cette question par la négative.
Le diable, lui, a affirmé positivement que Siegfried n'aurait pas hésité une seconde, puisque renégocier le marché et récupérer son âme était justement tout le but de son expédition à Koerich. Le diable lui a si clairement montré à quel point lui, Siegfried, n'était qu'un faible...
Jusqu'où peut aller un être humain qui cherche désespérément à se sauver lui-même ? Jusqu'à quelles extrémités ? Jusqu'à quel degré d'abjection est-il capable de descendre ? Qui d'autre pourrait-il tuer pour sauver sa propre vie ?...
Siegfried a honte, se sent indigne. Indigne de Mélusine, de leurs enfants, de ce château, de leur personnel, de Lucilinburhuc la ville et de tous ses habitants. Indigne de son épée perdue, de son titre de noblesse. Et lorsque les mains si fraîches de Mélusine, dont il a toujours eu tant besoin et maintenant plus que jamais, se posent sur les siennes, il a tellement honte de lui-même qu'il les repousse avec une violence dont il s'est toujours cru incapable. Surtout vis-à-vis d'elle.
- Sortez ! Tous ! Dehors ! Tout le monde !
Toute la foule, silencieuse, le regarde, interdite. Même Mélusine se demande ce qui se passe.
Siegfried les fixe tous d'un regard entre l'égarement et la colère.
- Qu'est-ce que vous faites tous encore là ? Qu'est-ce que vous attendez ? Partez ! Sortez ! Tous ! Je ne veux voir personne !
Les gens, tous autant qu'ils sont et quelle que soit leur condition, osent à peine se regarder les uns les autres et commencent à battre en retraite.
- Allez ! Plus vite que ça !
Personne n'y comprend rien, mais personne ne cherche à comprendre non plus. Tout le monde se doute désormais que quand il a ce regard-là, il vaut mieux ne pas discuter, ne pas chercher à comprendre et obtempérer, même si ce qu'il demande n'a aucun sens.
Même Mélusine suit le mouvement. Elle croyait pourtant le connaître par cœur, son Siegfried, mais jamais encore elle ne lui a vu un regard pareil, même lorsqu'il délirait. Il lui semble que même la couleur de ses yeux a changé, que leur beau et doux brun a pris à la place une couleur rouge sang qu'elle n'a encore vue chez personne. Il l'a déjà repoussée une fois, chose qu'il n'avait jamais faite auparavant. Elle ne le reconnaît pas. Quelque chose est en train de se passer, qu'elle ne comprend pas.
Elle n'ose pas le contredire, mais en suivant la foule qui bat en retraite sans regarder en arrière, elle se retourne quand même pour lui jeter un regard interrogateur. Il se contente de hocher la tête tout en la fixant. Alors elle repart vers l'avant et sort elle aussi, avec tout le monde.
Musique : Pts. Of Athrty - Linkin Park
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos