Mélusine s'en retourne vaquer à ses affaires - et encombrer son esprit pour s'empêcher de penser.

Après tout, elle a toute la vie de tout un château à superviser et à faire tourner. Ce n'est pas une mince affaire. Il y a de quoi gérer. Et puis, Geerty remplit auprès d'elle bien d'autres fonctions que celle de messagère. Mélusine en a besoin pour bien d'autres tâches, et ce n'est pas le travail qui manque. Donc, encore une fois, elle passe à autre chose. En se disant que cette fois, c'est fini, il a compris.

Mais lorsque pas plus tard que le jour d'après, Geerty prend du retard puis rentre chez Mélusine en osant à peine la regarder mais en piétinant sur place, "Madame la Comtesse" a peur de comprendre. C'est d'un ton plus brusque qu'elle le voudrait qu'elle lui demande : "Quoi, Geerty, qu'y a-t-il encore ?", tout en pensant très fort : Ne venez surtout pas me dire que...

La voix de Geerty est un peu hésitante.

- Vous savez, Madame la Comtesse, je suis vraiment, vraiment très, très très désolée, excusez-moi, ce n'est pas ma faute, mais...

Mélusine devine déjà ce qui va suivre, mais elle reste de marbre. Elle n'a aucune intention d'aider Geerty à délivrer son message. Elle n'a pas la moindre envie de lui faciliter la tâche, à lui.

Bien sûr, Geerty n'est en rien responsable de ce qui se passe. Elle n'est qu'une pauvre employée piégée bien malgré elle dans les conflits internes de sa hiérarchie, qui tient à garder sa place parce qu'il faut bien manger et qui essaie de se tirer avec le moins d'égratignures possible d'histoires qui ne la concernent en rien. Une pauvre employée qui essaie juste de faire son travail comme ses patrons le lui demandent, du mieux qu'elle peut. Au-delà de ça, ou plutôt justement à cause de ça, elle n'est qu'un pion sur un échiquier, dont toutes les parties prenantes se servent, et qui ne décide même pas de ses propres mouvements.

Mais du fait même de figurer sur l'échiquier, elle joue un rôle dans les événements. Même si elle essaie d'en limiter le plus possible l'ampleur.

Et parce qu'elle joue un rôle dans les événements, Mélusine n'a pas envie de lui faciliter la tâche. Malgré toute la sympathie qu'elle peut avoir pour Geerty par ailleurs, et aussi malgré toute celle dont elle pense être l'objet de la part de cette humaine. Et même si la sympathie de vrais humains est quelque chose dont Mélusine a bien besoin.

Même si c'est malgré elle, même si elle n'est que l'otage des circonstances, Geerty se retrouve en train d'être sa complice à lui. Volontairement ou involontairement, malgré elle ou de son plein gré, cela ne change rien au résultat. Elle est sa complice quand même.

Mélusine la laisse donc se débrouiller toute seule plus ou moins comme elle peut pour cracher le morceau. Elle reste juste debout, immobile à fixer sa femme de chambre en attendant la suite.

- ... Mais Monsieur le Comte insiste vraiment. Il voudrait vous parler. Il dit qu'il a quelque chose de vraiment important à vous dire. Quelque chose qu'il ne peut vous dire qu'en face.

Mélusine sourit en coin.

- Ah. Monsieur le Comte retrouve du courage en même temps que la santé. Intéressant.

Geerty commence à s'habituer au ton ironique et cinglant que Madame la Comtesse prend de plus en plus souvent dernièrement, et elle se laisse moins facilement désarçonner. Même si elle doit admettre qu'elle la comprend et qu'au fond, elle est plutôt de son côté dans cette affaire. Elle a beau n'être qu'une domestique qui officiellement n'a pas d'avis à donner, cela ne l'empêche pas d'avoir sa propre opinion sur la situation - comme sur bien d'autres choses, d'ailleurs.

- Madame la Comtesse, je ne devrais peut-être pas vous le dire, mais... Monsieur le Comte ne va vraiment pas bien du tout.

Musique : Gibran Alcocer - Idea 10

Épisode 38 : Solidarité

Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos