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Épisode 22 : Contre-proposition

Épisode 22 : Contre-proposition

Publié le 18 déc. 2024 Mis à jour le 18 déc. 2024 Conte
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Épisode 22 : Contre-proposition

Siegfried se demande s'il doit en venir aux mains ou ramasser son épée qu'il a déposée par terre tout à l'heure. Il esquisse un geste en direction de son épée, mais il se heurte à un mur invisible et pourtant bien réel. Le diable éclate d'un rire sarcastique en le voyant faire. Alors, réalisant d'où vient l'empêchement, Siegfried se ravise et se rend compte que tout combat à ce stade serait inapproprié. Malgré toute son envie d'en découdre, qui doit sûrement se lire dans ses yeux. Non pas qu'une réaction de sa part soit inappropriée, mais ce sont plutôt les armes auxquelles il pense et qu'il a apportées avec lui qui sont inadaptées. Ses poings ou son épée pourraient-ils seulement égratigner son adversaire ? Un adversaire capable de l'immobiliser de façon immatérielle sans même lever le petit doigt, sans rien changer à son attitude, ni à l'expression de son visage, ni au discours qu'il est en train de lui débiter ? Un adversaire capable de l'empêcher de se servir de ses armes sans même le toucher ? Un adversaire qui n'est donc nullement impressionné, ni par ses armes, ni par son apparence, ni par son discours ?

Il commence à se dire qu'un goupillon d'eau bénite aurait probablement mieux fait l'affaire. Mais cela, il aurait fallu le demander au Père Adalbéric. Pour lui faire une telle demande, il aurait fallu en expliquer le pourquoi. Et Siegfried se voit mal expliquer au Père Adalbéric qu'il comptait demander une entrevue au diable pour discuter avec lui, et il se voit encore plus mal lui en détailler le contexte. Le Père Adalbéric l'aurait plus probablement freiné qu'encouragé, et de toute façon ce sont là des choses dont il n'a pas envie de parler avec qui que ce soit. Avoir vendu son âme au diable il y a quinze ans n'est pas une chose dont il est particulièrement fier.

Il ne sait d'ailleurs pas si le Père Adalbéric lui donnerait l'absolution, ni s'il serait en mesure de faire quelque chose pour lui récupérer son âme. Le Père Adalbéric a plutôt l'air de ce qu'on appelle un "brave homme", incapable de faire de mal à une mouche mais pas vraiment un héros, et plus du genre à fuir une telle situation en prenant ses jambes à son cou que de l'affronter le goupillon dans une main, le crucifix dans l'autre et les prières à la bouche.

Et le pire de tout, c'est que même un prêtre plus héroïque ne l'aiderait pas, parce qu'il serait plus enclin à le juger et à le condamner aux lourdes expiations qui sembleraient s'imposer vu la gravité de son péché qu'à lui pardonner son égarement et à lui venir en aide.

Et il est sûr que la plupart des prêtres refuseraient catégoriquement de se mettre en danger pour lui, inutilement si ça se trouve puisqu'il ne serait pas possédé contre sa volonté mais qu'il serait allé au diable de son plein gré. Sûrement, ils lui diraient tous d'assumer lui-même et tout seul les pleines conséquences de ses choix et de ses actes. Alors il fera sans goupillon d'eau bénite, sans crucifix et sans prières, que d'ailleurs il connaît à peine voire pas du tout, et il espère que la grâce de Dieu fera le reste. Et puis, après tout, si Dieu et ses saints lui avaient ouvert une porte il y a quinze ans, il n'en serait pas là où il en est aujourd'hui. Dieu et ses saints l'ont laissé se débrouiller tout seul, donc lui, comte Siegfried, continuera à se débrouiller tout seul. Comme il l'a toujours fait depuis quinze ans.

Il respire donc profondément avant de répliquer.

- Tu sais, en quinze ans, j'ai eu tout le temps de réfléchir à pas mal de choses.

- Et il t'a fallu quinze ans pour arriver à ce genre de conclusion ? Le moins qu'on puisse dire, c'est que tu n'es pas vraiment rapide à la détente, comte Siegfried. Tu m'as l'air plus rapide avec tes poings ou avec ton épée qu'avec ton cerveau.

- Et tu en as bien profité, pas vrai ?

La voix de Siegfried gronde, mais le diable n'en est nullement déstabilisé.

- Ma foi, si tu n'es pas capable de mener une négociation correctement dans ton propre intérêt, ce n'est pas ma faute. Moi, je t'ai offert quelque chose et je t'ai proposé une contrepartie pour ce que je t'offrais. Je ne t'ai obligé à rien. Je t'ai juste fait des propositions. Tu as librement accepté ce que j'avais à t'offrir. Tu en as tout aussi librement accepté les conditions. Tu as librement scellé notre accord avec ton sang, rappelle-toi. Une fois qu'un accord a été scellé, on ne revient plus dessus. On ne revient plus en arrière. On va jusqu'au bout de ce qu'on a décidé. De ce à quoi on s'est engagé. Quoi qu'il en coûte. C'est cela, la règle.

- Même quand on a l'impression de s'être fait monumentalement gruger ?

De nouveau, le diable quitte son sourire et penche la tête de côté.

- Sais-tu seulement à quel point tu me peines, comte Siegfried ? Vraiment. Pour autant qu'il m'en souvienne, tu n'avais pas exactement l'impression de t'être fait gruger à l'époque.

- Qu'as-tu jamais su de ce qu'étaient mes impressions ? Si cela t'a jamais intéressé, tout d'abord ? Crois-tu donc que le prix à payer ne m'a jamais effrayé ?

Le diable relève la tête mais ne sourit pas.

- Si la contrepartie t'effrayait tant que ça, alors pourquoi as-tu accepté de la payer ? Pourquoi as-tu accepté de sceller notre contrat ? À tout moment, tu es resté libre de refuser. Si tu l'avais fait, je serais parti, je t'aurais laissé tranquille et tu n'aurais plus jamais entendu parler de moi. À moins, bien entendu, que tu n'aies eu envie de me rappeler avec toute la politesse due à mon rang.

- J'étais coincé, tu le sais très bien. Et toi, tu en as honteusement profité.

- Je te prierais de me parler avec un peu plus de respect. Je n'en ai pas "honteusement profité" comme tu dis. J'ai seulement répondu à ton besoin en te proposant une solution à ton problème. Une solution qui à ce moment-là te paraissait tout à fait satisfaisante. J'en ai juste demandé la contrepartie qui me paraissait appropriée. D'autant plus appropriée que tu acceptais volontiers de la payer, tant ce que je t'offrais avait de valeur à tes yeux. Aurais-tu entre-temps changé d'avis ? Je peux toujours t'arranger ça, tu sais, au pire. Et crois-moi, il ne me faudrait pas toute une nuit pour cela.

Les yeux de Siegfried se rétrécissent, mais un nœud coulant s'installe autour de son estomac. Ce dont il espère que le diable ne s'apercevra pas.

- Que veux-tu dire par là ?

- Ne sais-tu donc pas qu'il faut moins de temps pour détruire que pour construire ? Et moi, au moins, je fais les choses proprement. Pas de gravats, pas de ruines. Juste celles du vieux fort qui, de toute façon, étaient déjà là dès l'origine. Si c'est ça que tu veux... je suis prêt.

Le cœur de Siegfried pèse soudain une tonne et coule dans sa poitrine jusqu'au fond de son ventre. Non, non, pas ça... Il a construit toute une vie depuis quinze ans autour de ce château ! Mélusine ? Les enfants ? Le petit personnel ?... Les chevaux ?... La ville ? Son petit peuple ?... Tous désormais sans domicile ? Tous finissant par le déserter ?... Tout ce qu'il a construit à partir de ce château réduit à rien ?... Tout à refaire depuis le départ ?... Et puis, et puis, surtout, surtout : quelle explication donner à tout cela ? à sa famille ? à ses domestiques ? aux bourgeois de Lucilinburhuc ? qui n'existerait probablement même plus en tant que ville d'ailleurs, puisque son existence même vient de celle du château ? Comment expliquer à tout le monde sa disparition et le retour de la vieille ruine romaine au sommet du Bockfiels ? Faudra-t-il dire à tout le monde que c'était le diable en personne qui était derrière tout ça ? Pourra-t-il jamais reconstruire quoi que ce soit après ça, ruiné et revenu à son point de départ avec sept enfants et une femme qui refuserait de le suivre ailleurs qu'au Bockfiels ?... Surtout après une révélation pareille ?...

Et en dehors de ça, quelle explication alternative va-t-il bien pouvoir donner aux gens ? Quelle histoire va-t-il pouvoir inventer, qui tienne plus ou moins debout, pour expliquer ce qui vient de se passer ?... Est-ce ça, le prix à payer pour ce qu'il veut faire ?... Non... non...

La voix de Siegfried se fait conciliante. Après tout, même s'il a horreur de cette position et plus horreur encore de le reconnaître, c'est lui qui est en demande et qui a quelque chose à perdre.

- Je n'ai jamais dit que je voulais remettre tout à zéro.

La voix du diable, elle, se fait brève et dure.

- Alors qu'est-ce que tu veux ?

Siegfried prend une profonde inspiration, mais cette fois-ci, ce n'est pas pour se calmer, mais pour ne pas faiblir.

- Je suis venu pour renégocier le contrat.

La bouche du diable n'est plus qu'une ligne dure.

- Voyez-vous ça ! Tu es venu pour renégocier le contrat. Mais ne viens-je pas de passer tout un temps à t'expliquer qu'une fois signé, un contrat ne se renégocie pas ? Tu n'es décidément pas un phénix d'intelligence, comte Siegfried.

Siegfried avale sa salive et persiste bravement à tenir tête.

- Je n'ai jamais dit que ce que tu m'avais offert ne présentait aucun intérêt pour moi. Si je le disais, je mentirais. D'ailleurs, tu n'en croirais pas un mot.

- En effet.

- Tu t'aperçois donc qu'au moins, je ne te mens pas. Mais ce que je dis, c'est que le prix que tu m'as demandé à l'époque était bien trop élevé pour quelque chose qui ne t'avait coûté qu'une nuit de travail, pas la moindre pièce d'argent et aucune terre à acquérir, puisque le Bockfiels m'appartenait déjà.

- Oui, tu me l'as dit déjà à ce moment-là. Comme tu me l'as fait remarquer, j'ai une bonne mémoire.

Le diable termine sa phrase par un sourire volontairement exagéré. Siegfried ancre ses pieds dans le sol et se dresse de toute sa taille.

- Alors, comme tu me l'as si aimablement suggéré tout à l'heure, je suis venu te faire une contre-proposition.

Les commissures des lèvres du diable s'affaissent.

- Une contre-proposition ? Sérieux ?... N'est-il pas un peu tard pour les contre-propositions ? C'est il y a quinze ans que tu aurais dû m'en faire, des contre-propositions, comte Siegfried. Maintenant, le contrat est signé. Comme je te l'ai dit, on ne revient pas en arrière.

Puis, d'un ton plus conciliant :

- Ou alors on annule tout, comme je viens de te le proposer.

Puis il en revient au sarcasme :

- Si tu en as le courage, évidemment. Comte Siegfried.

Le ton méprisant avec lequel le diable vient de prononcer son nom et son titre n'a pas échappé à Siegfried, qui se raidit pour tenir le coup. Ce n'est pas le moment de se laisser déstabiliser par ses émotions. C'est plutôt le moment d'avoir le cerveau qui tourne au galop.

- Si c'est le terme de "contre-proposition" qui te gêne, vois plutôt cela comme une proposition d'échange.

- Une proposition d'échange. Vraiment.

Les mots tombent littéralement de la bouche du diable. Siegfried sent le besoin de se rattraper.

- Une proposition de rachat, si tu préfères. Toi qui aimes le commerce, ça devrait te plaire.

Une des commissures de la bouche du diable se relève.

- Ah oui ? Ha. Et peut-on connaître ta proposition de... hi... rachat ?

Siegfried n'est plus aussi sûr de lui qu'au moment où il a quitté la Petite Forteresse pour se rendre à Koerich. Mais il ne peut plus revenir en arrière, et de toute façon, il n'a pas le choix. Son seul espoir, sa seule chance, c'est la contre-proposition qu'il se prépare à faire et à laquelle il se raccroche pour retrouver un peu de courage et son cœur à la bonne place dans sa poitrine.

- Eh bien, ma proposition, c'est : tu me rends mon âme, et moi, en échange, je te donne Koerich.


Musique : MAGO - Conscious


Épisode 23 : Marché de dupes


Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos

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