Épisode 47 : Miséricorde
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Épisode 47 : Miséricorde
Même si Mélusine a peur, elle sait que ce n'est pas le moment de s'enfuir. Au contraire, c'est le moment ou jamais d'être forte et de rester debout sur sa position, bien campée sur ses deux pieds.
- Je ne peux pas te laisser ainsi, Siegfried. Je suis ta femme. Et tout le monde ici est sur le même bateau. J'ai le droit de comprendre ce qui se passe. J'en ai besoin si je veux t'aider et si nous ne voulons pas que tout ici sombre à cause de ce que tu as pu faire. Tu as raison, il faut faire quelque chose. Nous ne pouvons pas rester assis, paralysés par la peur, à attendre que les choses se passent. Mais il faut que tu saches que je suis avec toi. Je me bats à tes côtés, Siegfried. Pas seulement pour toi. Pour nous tous.
Petit à petit, Siegfried redevient lui-même. Avec ses yeux d'un brun si doux. Mélusine ! La résistante en elle lui dit de se reprendre, de ne pas se laisser aller. Que ce n'est pas parce que l'heure est grave qu'il faut pour autant tout oublier.
- Merci, Mélusine.
La voix de Siegfried est elle aussi redevenue normale. Enfin, normale... un souffle, certes. De la reconnaissance. Du soulagement. Mais il n'y a plus cette sorte de rugissement sous-jacent qui vient d'on ne sait où et qui résonne comme une menace.
Puis, après un moment :
- Alors, finalement, est-ce que tu me pardonnes ?... J'ai besoin de savoir que si Dieu ne le fait pas, au moins toi, tu le fais.
Mélusine ferme les yeux un moment. Se tait un long moment.
- Je te pardonne, Siegfried. Pour cette fois. Mais ne recommence jamais. Jamais. Je ne pourrais pas te pardonner une chose pareille une seconde fois.
Siegfried soupire de soulagement, lui saisit la main et la serre. Fort. Si fort... Un noyé qui se raccroche à la corde du sauveteur. Elle pose son autre main sur la sienne.
- Ne me la brise pas quand même, j'en ai encore besoin.
Et presque malgré elle, elle rit. Légèrement. Sans ironie. Sans sarcasme. Lui aussi en rit, en osant à peine le faire. Puis il porte leurs mains à son cœur, l'attire à lui et, assis comme il est, elle debout, il la serre contre lui, de ses faibles forces.
- Je ne devrais pas... que Dieu me pardonne.
Où en est-il arrivé s'il en est à s'en vouloir même d'un simple geste comme celui-là ?... Elle a envie de lui caresser les cheveux, mais la résistante en elle s'interpose. Assez de mièvrerie. Ce serait trop facile. N'oublie quand même pas ce qu'il t'a fait. Que tu lui pardonnes, c'est déjà énorme. Il devrait s'en estimer heureux. C'est grave, ce qu'il t'a fait. C'est normal qu'il paie. L'autre en elle répond : Et puis mouise... Et puis Mélusine pose quand même la main sur la tête de Siegfried. Mais elle se contente de l'y poser. Pourtant, elle ressent son soulagement à travers tout son corps. Malgré son état de santé et d'esprit, il est presque heureux.
Ils s'accordent ensemble des minutes de silence, de pause, de trêve, de soulagement.
Mais quand ils se séparent, tout doucement, naturellement, elle ressent le besoin de... remettre les choses en contexte.
- N'oublie quand même pas que si je te pardonne, ce n'est pas seulement pour toi. Ni pour moi. Ni pour nous deux. Si je te pardonne, c'est parce que c'est tout ce que nous avons construit ensemble qui est en jeu, et c'est parce que ce sont tous les gens qui ont été entraînés là-dedans qui sont concernés. C'est parce que tout le monde est sur le même bateau. S'il ne s'était agi que de toi et moi, je ne sais pas si j'aurais jamais pu le faire.
Sa voix reprend une certaine ironie.
- Je n'aurais jamais cru dire une chose pareille, Siegfried, mais finalement, ton vœu et ton état, ils tombent à pic. Parce que même sans eux, même si je te pardonne, tu ne dois pas croire que les choses seraient pour autant redevenues comme avant entre nous. Peut-être le redeviendront-elles un jour... mais une chose est sûre, c'est que moi, j'aurai besoin de temps. La blessure est toujours là. L'abcès est crevé, l'infection est sortie... mais la plaie est encore ouverte. Elle doit guérir d'abord. Et tu peux me croire, elle est profonde. Très profonde. Elle ne guérira pas juste en quelques jours.
Il la regarde, gravement.
- Je comprends.
Mais au bout d'un moment il ajoute :
- Mais tu reviendras me voir, n'est-ce pas ?
Un pauvre sourire étire les lèvres de Mélusine.
- Pas pour te soigner, bien sûr. Mais, oui...je reviendrai.
Il se prennent encore la main, Mélusine s'éloigne, leurs bras se tendent... Puis leurs mains se lâchent, et Mélusine sort.
Alors Siegfried, soulagé, épuisé, s'écroule sur le lit et tombe immédiatement endormi.
Mélusine, quant à elle, remonte des couloirs à présent presque vides dans une demi-conscience, malgré la résonance fantomatique de ses pas. Une fois arrivée à sa chambre, elle doit s'asseoir un long moment. Puis elle se résout à tirer sur la corde pour appeler Geerty, parce qu'il faut bien qu'elle se prépare pour la nuit et parce que la robe qu'elle a revêtue est impossible à retirer sans aide.
Quand elle entre dans la chambre, Geerty s'effraie de voir l'état de fatigue et le regard vitreux de Mélusine.
- Est-ce que tout va bien, Madame la Comtesse ?
- Oui, merci, ça va.
- Vous êtes sûre ?
Oui, j'ai pardonné l'impardonnable à l'homme que j'aime encore envers et contre tout parce que je viens de comprendre qu'il s'est mis dans une mouise noire et nous tous aussi avec et que personne n'a la moindre idée de la façon dont tout cela va finir, ni même s'il nous sera possible de nous en sortir, mais à part ça...
- Oui, Geerty, tout va bien.
Musique : Max Richter - The Quality of Mercy
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos