Épisode 59 : Marquage
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Épisode 59 : Marquage
Mélusine a à peine le temps de se tourner vers la porte de la chambre qu'elle voit une ombre se détacher de l'obscurité et s'animer d'un mouvement du côté d'où elle vient, lui barrant toute retraite. La surprise et la peur lui arrachent un cri - vite étouffé par la main de l'ombre sur sa bouche. L'ombre s'est instantanément plaquée dans son dos. Une ombre qui a un corps, un corps chaud. Des poils qui lui chatouillent le cou. Un souffle dans son oreille. Puis une voix.
- C'est moi.
Elle en soupire de soulagement, mais voilà une façon bien étrange de l'accueillir...
- Ne dis rien.
La main plaquée sur sa bouche se détache doucement, pour venir se poser sur le chambranle de la porte. Comme l'autre main l'est déjà de l'autre côté. Le chemin de la fuite lui est définitivement barré. De tous les côtés. Mais a-t-elle encore envie de fuir ? Elle l'a reconnu.
Un souffle caresse son oreille, des dents la mordillent, des poils de barbe lui titillent le cou. Elle renverse la tête, se laisse aller contre le corps chaud derrière elle.
- Entre.
Elle n'a plus envie de bouger, mais elle ouvre la porte et il la guide à l'intérieur. Elle l'entend qui referme la porte et qui la verrouille derrière lui. Et aussi comme un bruit métallique. Ce bruit métallique qui l'a accompagné toute la journée pendant ces trois jours... Son épée ? Il n'a tout de même pas gardé son épée ? Mais pour quoi faire ?... Là, elle se redresse, s'écarte légèrement - et commence à avoir un peu peur.
Il la guide jusque devant le lit - toujours ce même lit à baldaquin, il n'a pas changé - et la fait pivoter de façon à y tourner le dos. Il se place face à elle - et, oui, il a bien son épée accrochée à sa taille. Il ne lui laisse pas le temps de se demander, ni de lui demander, ce qu'une épée peut bien avoir à faire dans une chambre à coucher. Il la dégaine - sans un mot. Il lui pose le plat de l'épée sur la joue, appuie pour lui redresser la tête. Puis il la retire lentement, en la laissant glisser. Elle prend son souffle pour parler, mais immédiatement, il lui pose la pointe sur la bouche, pour la faire taire. Puis il redescend sur la gorge, et elle, tout ce dont elle a conscience, c'est de la pointe de cette épée, de la flamme dans ce regard posé sur elle et de ce souffle sauvage... Puis l'épée s'accroche habilement au décolleté de sa robe, et d'un seul coup, le tranchant la déchire jusqu'à la taille. Elle sursaute, mais refuse de fermer les yeux. Le plat de l'épée prend le relais pour écarter les pans du corsage, puis c'est la pointe qui dessine sur sa peau de folles arabesques. Puis cette fois-ci, c'est à la taille de la robe que le tranchant s'accroche et s'arrache. Puis la pointe remonte en haut du corps, le plat s'insinue sous les pans du corsage et les fait glisser par-dessus les épaules. La robe n'est plus retenue que par les manchettes, sous lesquelles le plat s'insinue par-devant avant que le tranchant coupe chacune d'un mouvement sec. Elle ne peut pas retenir une brusque inspiration, à chaque fois. En se disant que si jamais elle doit s'enfuir, dans la tenue où elle est maintenant, c'est hors de question.
Elle commence à se dire qu'elle a peut-être eu tort de venir. De ne pas se poser de questions. De lui faire confiance autant qu'avant, de ne pas avoir trouvé son revirement suspect. Elle est à la fois consciente du danger et admirative de son habileté. Elle s'étonne et s'émerveille de ne pas être blessée - pas encore ? - mais elle ne sera vraiment soulagée que lorsqu'il aura déposé cette fichue épée. En espérant qu'il la dépose loin. Très loin. Si possible hors de sa portée dans la suite des événements - si suite il doit y avoir. Et surtout pas sur sa peau comme elle l'est maintenant.
Pourtant elle sait qu'elle doit lui faire face et ne pas flancher. Ne pas fermer les yeux. Tenir tête, jusqu'au bout.
- Il t'a touchée ?
La voix est rauque et le souffle court.
- S'il t'a touchée, dis-moi où.
Pour quoi faire ?...
- Il ne m'a pas touchée, Siegfried.
Heureusement, elle n'a même pas besoin de mentir. Elle peut le lui dire droit dans les yeux.
- Peux-tu le jurer ?
- Je te le jure.
- Le jurerais-tu sur la Bible ?
- Sur tout ce que nous avons de plus sacré, Siegfried.
Elle soutient son regard.
Il lui pointe l'épée sous le menton, comme il le fait avec ses rivaux trop entreprenants, jusqu'à lui faire renverser la tête. Elle comprend comme jamais à quel point ils ne doivent pas être rassurés quand ça leur arrive. Tout comme elle, ils doivent imaginer l'effet que leur ferait cette épée en train de leur transpercer la mâchoire jusqu'à la langue. Sauf qu'au lieu de la repousser, ou de lui enfoncer la pointe sous la mâchoire, il l'attire vers lui. Elle suit le mouvement - enjambant au passage sa robe déchirée qui ne lui sert plus à rien.
Quand elle est suffisamment proche, il lui emprisonne les lèvres dans les siennes - et elle entend comme il fait glisser au loin son épée sur la table derrière lui, elle le devine en train de défaire la ceinture qui retient le fourreau et qui va rejoindre l'épée sur la table dans la même glissade. Il l'attire contre lui, l'emprisonne, la serre, lui pose une main en berceau derrière la tête, l'embrasse - longuement. Puis il lui prend le visage entre les mains.
- Si un autre te regarde, ou te parle mal, ou te touche, ça me donne envie de tuer. Tu es à moi, à personne d'autre, et ça, il faut que le monde entier le comprenne. Tu es à moi. Je ne te partage pas.
Pourquoi faut-il qu'à chaque fois qu'il la revendique, elle ressente ce courant qui fait le tour de son bassin - ce courant que bien des siècles plus tard, on appellera l'électricité, mais qu'à son époque, faute de mieux, on appelle encore le feu ? Même maintenant, alors que là, il commence à devenir franchement dangereux ?...
Il retire une des épingles de sa coiffure, pointue comme la lame d'un couteau, l'utilise à la manière d'un crayon pour lui dessiner les traits, les contours du visage, la courbure du cou, l'épaule, remonter jusqu'au creux... Puis, en pinçant les lèvres, il y fait une entaille. Une entaille superficielle en forme de S.
- Siegfried, mais qu'est-ce que tu...
Il lui glisse son autre main sur la joue et lui place l'index sur la bouche, avant de lui glisser à nouveau cette main en corbeille à l'arrière de la tête puis de laisser glisser ses lèvres depuis son oreille le long de son cou, jusqu'au creux de l'épaule, pour y donner un baiser de vampire.
Il l'a marquée. C'était son but.
L'épingle à cheveux finit à son tour sur la table, derrière lui. La tête au repos au creux de la main de Siegfried, Mélusine attend. Et maintenant ?... M'as-tu fait venir juste pour ça ?... Pour me marquer comme un animal, ou comme une chose qui t'appartient ?
Il se laisse glisser jusqu'à l'épaule, qu'il ne peut pas s'empêcher de mordre, comme il l'a déjà fait dans le passé en des circonstances semblables. Puis il remonte jusqu'à son oreille. Et là, il la tue.
Il prend son temps pour la tuer. Réponse muette à sa question muette. Le temps n'existe plus. Les questions non plus. Il y a juste Siegfried, sa main qui la soutient, son autre bras qui la retient, son corps si chaud et si accueillant, Siegfried qui l'assassine par l'oreille et cette oreille qui en veut encore. Et tout cela, c'est le monde...
Musique : Kelela - Washed Away (Official Music Video)
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos