Je guette
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Je guette
J’ai besoin de souffler. De respirer. De m’éloigner de tout ce vacarme incessant, de ce chaos irrespirable. Alors je me suis porté volontaire pour une nouvelle ronde, une fois de plus. Je préfère passer encore une nuit blanche à marcher sans but sous un ciel menaçant que de rester enfermé ici-bas. Remonter en surface est la seule façon, pour moi, de respirer. Ce qui est plutôt ironique, puisque l’air est si toxique que je ne peux pas me déplacer sans un attirail high-tech sur le nez. Mais ce paysage a un goût de liberté. Est-ce à cause du sable qui réinvestit les lieux un peu plus chaque jour ? Est-ce l’improbabilité du décor ? Ou tout simplement ce calme surprenant ?
Je ne sais pas à quoi ressemblait le monde d’avant. Je suis né dans cette merde sans nom, dans l’un de ces dédales miteux à la lumière blafarde et à l’odeur nauséabonde. Ce savant mélange d’antiseptique, de transpiration et de tabac froid qui vous donne un haut-le-cœur dès votre réveil. J’ai grandi sans voir le jour avec pour unique fenêtre sur l’extérieur, un tableau de Monet. Jusqu’à ce que je découvre la bibliothèque. Un lieu évité de tous, rassemblant notre plus grand trésor : notre histoire.
Durant ma jeunesse, les livres étaient pour moi source d’évasion. Tant les images que les textes. Je pouvais passer des heures enfermé, entouré de tous ces objets de savoir et de distraction. Je m’imaginais courir à travers les champs de coquelicots, nager dans une mer calme et chaude, m’allonger dans la neige fraîche. Plusieurs fois, j’ai supplié ma mère pour qu’elle me laisse sortir. Juste quelques minutes. Le temps d’admirer notre planète. Et chaque fois, sa réponse demeurait la même : c’est trop dangereux…
Voilà des années maintenant, que nous vivons planqués sous terre, terrorisés par à peu près tout ce qui se trouve en surface. Nous, les plus cruels et sanguinaires prédateurs de l’écosystème, réduits à se terrer comme des rats. Morts de peur au moindre bruit, au moindre tremblement. Pathétique.
Personne n’a jamais voulu m’expliquer comment nous en sommes arrivés là. Personne ne parle jamais de ce qui s’est passé, ni même du monde d’avant. Tous préfèrent oublier pour ne pas regretter. Peut-être pour ne pas souffrir. Pour ne pas pleurer ce qu’ils ont perdu. C’est étrange, mais je les envie. J’aimerais avoir des souvenirs à chérir, autres que ceux que j’ai pu lire dans les livres. Tout ce que j’ai, ce sont ces quelques heures à l’extérieur durant lesquelles il m’est impossible de rêver. L’arme à l’épaule, les sens aux aguets, je guette le danger sans jamais m’en approcher. Je guette le danger pour que tous soient en sécurité.
Texte de L. S. Martins (20 minutes chrono, sans relecture).
D'après Image by -MayaQ- from Pixabay : Man Male Resort - Free photo on Pixabay