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La gardienne de ces lieux

La gardienne de ces lieux

Pubblicato 22 apr 2021 Aggiornato 22 apr 2021 Cultura
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La gardienne de ces lieux

La dernière fois que j’ai franchi cette porte, je n’avais que 18 ans. Je fuyais cette vie indigne de moi… Celle que mes parents m’avaient imposée quelques années avant. Juste après la mutation de mon père.

Ils avaient investi tout leur argent dans cette vielle demeure sordide. Une baraque délabrée perdue au milieu de nulle part. Loin de tout. Loin de la civilisation. Loin de mes amis…

Ma mère semblait si excitée à l’idée de ce nouveau départ. Mon père aussi. Ils se voyaient le soir cultiver leur jardin et bricoler les week-ends pour faire de cette horreur la maison de leurs rêves. Quant à mes sœurs cadettes, elles étaient tombées amoureuses du coin.

Fini les journées enfermées dans ce misérable appartement en centre-ville. Fini les nuits toutes les trois entassées dans cette minuscule chambre. Nous avions enfin chacune la nôtre avec, en prime, un immense jardin.

Revenir ici après tout ce temps fait remonter en moi des souvenirs que je pensais enfouis à jamais. Des souvenirs pénibles. Insupportables. Comme la mort de Béa, ma plus tendre sœur…

Une nuit, elle était sortie. Sans un bruit. Nous n’avions rien entendu. Pas même le chien, attaché dehors, qui aboyait de toutes ses forces. Au petit matin, mon père avait retrouvé son corps fluet sans vie, à l’orée de la forêt. Recroquevillée sur elle-même. La peau blanchie par la mort. Les lèvres foncées par le froid. D’après les enquêteurs, ce n’était qu’un regrettable accident. Une simple crise de somnambulisme. Mais je n’y ai jamais cru. Béa ne l’avait jamais été, somnambule !

Après ce jour, rien n’était plus pareil. Ma mère devenait un peu plus folle, chaque jour. Mon père, lui, avait préféré prendre une maîtresse pour oublier : la boisson… Alors, avec Marie, nous étions seules. Enfin presque…

Le jour de ses 15 ans, Marie s’est tranché les veines. Elle qui était si joyeuse, si pleine de vie… Elle n’avait laissé aucun mot, pas même pour moi. Aucune explication. Elle s’était simplement installée dans la salle de bain, avait rempli la baignoire d’eau chaude et de bulle de savon, prit le rasoir de mon père et…

Le chagrin a dévasté ma mère. Une nouvelle fois. Elle vivait dans le noir, enfermée dans sa chambre, refusant de sortir de son lit. Quant à mon père, il était devenu un véritable fantôme.

Alors j’ai fui. J’ai fui très loin pour tout oublier. Pour vivre… Aujourd’hui, cette maison hantée me rappelle à elle. Ma mère, après cinq années de délire, s’est éteinte il y a quelques semaines. Et mon père l’a suivi deux jours après. Et me voilà seule avec cette demeure en piteux état.

Je devrais la vendre. M’en débarrasser. Mais je ne souhaite à personne ce que nous y avons vécu. Car je reste persuadée que tout ceci est sa faute. Qu’elle est responsable du malheur qui s’est abattu sur ma famille.

Mon devoir est d’en être la gardienne. De m’assurer que plus personne n’y vivra. La détruire est impossible. J’ai tenté maintes fois sans jamais y parvenir. Je ne saurais comment l’expliquer.

Assise sur le fauteuil de mon père, je monte la garde devant cette imposante porte. Je veille à ce que personne ne pénètre à nouveau ces lieux maudits.

 

25 minutes chrono, sans relecture.

Texte de L.S.Martins

Image par Peter H de Pixabay : Plancher Couloir Point De Vue - Photo gratuite sur Pixabay

 

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