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Maurice (James Ivory, 1987)

Maurice (James Ivory, 1987)

Publié le 13 mai 2020 Mis à jour le 13 mai 2020 Culture
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Maurice (James Ivory, 1987)

Des trois adaptations des romans de Forster que réalisa avec succès James Ivory entre 1985 et 1992, Maurice est celle que je préfère. Le fait que ces oeuvres aient si bien résisté à l'épreuve du temps montre qu'il était injuste d'accuser Ivory d'académisme. Et c'est particulièrement vrai en ce qui concerne Maurice. Outre sa justesse de ton dans le parcours initiatique de ce jeune homme vers la connaissance de lui-même, le film est frémissant, sensuel sous son apparence corsetée. Car Forster et Ivory s'intéressent à des êtres épris de liberté qui se heurtent à la norme, ils dépeignent un désir aux prises avec les règles. Forster ancien étudiant à Cambridge et homosexuel clandestin a écrit un livre largement autobiographique qui n'a été publié qu'après sa mort. L'époque Edwardienne et l'atmosphère feutrée du collège anglais sied particulièrement bien à Ivory qui peut la filmer à sa manière à la fois pudique et inquisitrice, discrète et subversive.

Maurice est sans doute un des meilleurs films qui existe sur la condition homosexuelle vécue de l'intérieur dans une société "peu encline à accepter la nature humaine" comme le dit si justement le médecin hypnotiste joué par Ben Kingsley. Une sensation précoce de différence, la peur d'être rejeté par sa famille et par ses proches, la crainte de se confier, l'illusion et l'espoir que ce n'est qu'un goût passager ou que la science va venir à la rescousse, l'appréhension d'être découvert dans le milieu professionnel, le chantage qu'une telle découverte peut provoquer, le regard particulier sur le corps masculin, le chagrin d'être trahi et abandonné par l'âme soeur avec laquelle on vivait un amour platonique mais passionné, l'apprentissage de la solitude, l'amertume devant l'hypocrisie et l'intolérance, la répression légale vécue à juste titre comme une scandaleuse injustice. Mais aussi la découverte des plaisirs de la chair, l'étonnement d'être perçu comme tel par un autre homosexuel, la joie de renverser les barrières (sexuelles et sociales) de s'assumer, d'être soi-même quelles qu'en soient les conséquences par ailleurs.

Maurice (James Wilby, bouleversant) passe par tous ces états puisqu'il finit par accepter sa condition et l'idée d'un bonheur possible dans sa différence avec le garde-chasse Alec Scudder (Rupert Graves, magnifique). A l'inverse, son ancien grand amour Clive (Hugh Grant alors tout jeune et tout aussi remarquable que ses deux partenaires) ne supporte pas la pression sociale qui pèse sur ses épaules. Lorsque l'un de ses anciens camarades, le vicomte Risley est arrêté et condamné pour ses moeurs (une allusion à peine voilée au procès d'Oscar Wilde), il craque et après avoir rompu avec Maurice, il s'assèche dans une vie stérile faite de conventions et de mensonges. Comme dans Les Vestiges du jour, autre joyau de sa filmographie, Ivory excelle à suggérer via la fissure d'un plafond, un regard mélancolique derrière une fenêtre fermée, les fêlures d'un être qui a renié sa nature profonde et s'est construit sa propre prison. 

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