Madres Paralelas (Pedro Almodovar, 2021)
Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 29 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Madres Paralelas (Pedro Almodovar, 2021)
S'il fallait résumer d'une seule phrase le dernier film de Pedro Almodovar, ce serait celle-ci: les femmes sont à la fois les dépositaires du passé et celles qui garantissent l'avenir. Et cela vaut aussi bien à l'échelle de la généalogie familiale qu'à celle de l'histoire d'un pays. Pedro Almodovar n'établit pas seulement en effet un parallèle entre deux mères d'âge différent dont les bébés ont été échangés à la naissance (intrigue téléphonée qu'on a déjà vu dans plusieurs films). Il va beaucoup plus loin en montrant comment les cicatrices non refermées du franquisme pèsent sur des descendants étrangement absents. En effet ce qui frappe dans ce film, c'est la quasi absence des hommes: disparus au cours de la guerre civile, ils semblent ne pas avoir véritablement réapparus, sinon sur des photos. Le film s'ouvre d'ailleurs sur un shooting photo durant lequel Janis (Penelope Cruz, charismatique comme dans tous les films qu'elle a tourné avec Pedro Almodovar) mitraille Arturo l'historien qui devient également le père de son bébé. Elle exprime ainsi son désir (on remarque au passage l'inversion des rôles genrés dans ce type de situation par rapport à la norme, cela mériterait d'ailleurs une rétrospective) mais aussi le fait qu'il est voué comme l'arrière-grand-père qu'elle recherche à disparaître parce qu'il est marié mais peut-être et surtout parce qu'il ne se reconnaît pas dans le bébé (et pour cause!). Janis l'efface alors de sa vie et décide de garder le secret lorsqu'elle découvre qu'elle n'est pas la mère biologique de l'enfant qu'elle élève. Cependant elle ne peut y parvenir durablement. Car tout le film est construit ainsi comme un relevé d'indices, de traces permettant de reconstituer une lignée mise à mal. Même si ça lui fait mal, Janis ne peut pas d'un côté chercher à faire la lumière et de l'autre, la fuir. Et on voit bien les dysfonctionnements que provoque son silence vis à vis d'Arturo qui l'aide à clarifier son passé et qui donc a un rôle à jouer dans son avenir, vis à vis d'Ana, l'autre mère qui ne sait pas quelle place occuper (amie, nounou, amante) sans parler de l'enfant biologique de Janis, quasiment mort-né. Les parallèles que tissent Pedro Almodovar lient ainsi inextricablement passé et futur et passent par le ventre des femmes mais aussi par leur rôle de gardiennes d'une mémoire longtemps occultée et enfin exhumée*.
* Le film fait référence à la loi sur la mémoire historique de 2007 qui n'allait pas assez loin dans l'engagement du gouvernement en faveur de la réparation des torts faits aux victimes du franquisme par souci de ménager une société encore très divisée sur la question. Ainsi la recherche et l'ouverture des fosses communes dans lesquelles 130 mille personnes ont été ensevelies dépendait des associations privées et les subventions publiques ont été coupées quand la droite est repassée au pouvoir. Une nouvelle loi dite de la mémoire démocratique est en projet pour le début de l'année 2022. Elle condamne sans ambiguïté le coup d'Etat de 1936 et débloque les subventions publiques pour cartographier et ouvrir les 3000 fosses communes du pays ainsi que pour identifier les corps en constituant une banque ADN. Mais elle suscite une forte résistance de la droite et de l'extrême-droite.