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Un souvenir bien parisien

Un souvenir bien parisien

Publié le 13 mars 2020 Mis à jour le 28 sept. 2020 Curiosités
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Un souvenir bien parisien

Un souvenir bien parisien

 

Virgile fut le fondateur de la Loge des compagnons de Sofia. Précisons que Sophia était une très jeune fille. Elle l’assistait dans les céré­monies sacrificielles (où elle était en général le sacrifice).

Le Grand Maître officiait dans les années 70 sous les magasins de la Samari­taine, où se trouvait de tout, selon une pu­blicité de l’époque. Après le passage d’une petite porte moyenâgeuse (ogivale et clou­tée) et la descente d’un escalier forcément tortueux, son domaine – ses Enfers – était de grandes caves voûtées qui avaient servi avant-guerre à conserver des régimes de bananes, pendus au pla­fond par des crochets : en fait, une planque pour rendez-vous entre sadiques et masochistes. Il y avait dans toutes les loges de vastes lits blancs et nus, des chaînes, des croix, des cravaches, des crocs, des pinces à téton et bien du ma­tériel qui m’était énigma­tique.

J’avais fait la connaissance du Maître grâce à ma revue d’échangisme : Doux Contacts. C’était l’après-midi, par une jour­née d’automne bien tran­quille où nous étions seuls à discuter autour d’un magnétophone, alors qu’en arrière-fond se déroulait sur un grand mur un film pornogra­phique avec nains, je ne sais pas pour­quoi. Je l’interviewais sans avoir pré­paré le moins du monde ce que j’aurais à dire, me fiant à mes dons d’improvisation, et le question­nement était un peu flot­tant, le gourou un peu interloqué – quand on me ta­pota l’épaule et je me retournai.

Une petite femme toute nue me regardait avec beaucoup d’attention. C'était le rendez-vous de 15h. Elle prendrait tout ce qui se présen­tait au cours de l’après-midi, en solo et en groupe. Elle com­mencerait par moi, si le Maître le lui accordait.

Je n’ai jamais man­qué de bonne volonté. Nous étions déjà à quatre pattes sur le lit sans que cesse mon interview – je suis profession­nel comme on en fait peu. Mon bonhomme, de plus en plus perplexe, répondait à mes questions haletantes, quand la dame parla.

– Fais-moi mal !

– Ah ? Et en quoi ça consiste ?

J’étais ingénu à l’époque. Virgile eut du mal à me pardonner, question de standing.

Le Leader Maximo était toujours vêtu d’une longue toge blanche sur un corps d’ascète. Il avait des yeux qu’on croyait hypnotiques parce qu’ils étaient saillants, et un bouc qui était plus poussiéreux que chenu. Son regard fu­rieux épinglait comme des papillons ses interlocuteurs psychique­ment fragiles. Il était assisté dans les céré­monies par son épouse et leurs deux enfants mineurs. L’épouse avait une devise : jamais moins de trois ! Les enfants n’avaient pas de dic­ton particulier. Je leur ai demandé ce qu’ils pensaient du monde des adultes, ils étaient circonspects. Le Maître, accompagné de toute son équipe, menait des happenings sauvages, c’est le mot, dans les restaurants du 1er ar­rondissement où les convives éberlués en ava­laient de travers. Il or­donnait réguliè­rement des mariages dans les caves où le marié était marqué au fer rouge des ini­tiales de la mariée. Préci­sons que l’assistance secou­rable d’un anes­thésiste SM n’était pas négligeable au cas où le ma­rié tournerait de l’œil – en effet, tout se perd.

Le reste du temps, le Guide officiait comme Célébrant d’un culte druidique très personnel. Des feuilles de laurier et des brindilles de thym dans sa barbe et ses longs cheveux, il tenait des discours confus qui passaient pour de l’ésotérisme. Il fut traité de daube par une maso­chiste malveillante que Virgile finit par sacrifier pour de bon, selon ce qui se murmurait avec une grande admira­tion entre crucifiés, d’une croix de Saint-André à l’autre – mesure extrême qui aurait justifié qu’on n’ait plus vu le Maître de quelque temps.

Mais j’avais d’autres chats à fouetter, si j’ose dire. Je l’ai retrou­vé par hasard bien des années plus tard sur Internet, dans une vi­déo bucolique où il était immensément vieux et gambadait en pleine nature comme une chèvre grisonnante avec de vieilles folles toutes nues. Chapeau bas ! Quel tempérament ! Quelle obstination ! Quelle cohérence !

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

 

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