Un souvenir bien parisien
On Panodyssey, you can read up to 30 publications per month without being logged in. Enjoy29 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
Un souvenir bien parisien
Un souvenir bien parisien
Virgile fut le fondateur de la Loge des compagnons de Sofia. Précisons que Sophia était une très jeune fille. Elle l’assistait dans les cérémonies sacrificielles (où elle était en général le sacrifice).
Le Grand Maître officiait dans les années 70 sous les magasins de la Samaritaine, où se trouvait de tout, selon une publicité de l’époque. Après le passage d’une petite porte moyenâgeuse (ogivale et cloutée) et la descente d’un escalier forcément tortueux, son domaine – ses Enfers – était de grandes caves voûtées qui avaient servi avant-guerre à conserver des régimes de bananes, pendus au plafond par des crochets : en fait, une planque pour rendez-vous entre sadiques et masochistes. Il y avait dans toutes les loges de vastes lits blancs et nus, des chaînes, des croix, des cravaches, des crocs, des pinces à téton et bien du matériel qui m’était énigmatique.
J’avais fait la connaissance du Maître grâce à ma revue d’échangisme : Doux Contacts. C’était l’après-midi, par une journée d’automne bien tranquille où nous étions seuls à discuter autour d’un magnétophone, alors qu’en arrière-fond se déroulait sur un grand mur un film pornographique avec nains, je ne sais pas pourquoi. Je l’interviewais sans avoir préparé le moins du monde ce que j’aurais à dire, me fiant à mes dons d’improvisation, et le questionnement était un peu flottant, le gourou un peu interloqué – quand on me tapota l’épaule et je me retournai.
Une petite femme toute nue me regardait avec beaucoup d’attention. C'était le rendez-vous de 15h. Elle prendrait tout ce qui se présentait au cours de l’après-midi, en solo et en groupe. Elle commencerait par moi, si le Maître le lui accordait.
Je n’ai jamais manqué de bonne volonté. Nous étions déjà à quatre pattes sur le lit sans que cesse mon interview – je suis professionnel comme on en fait peu. Mon bonhomme, de plus en plus perplexe, répondait à mes questions haletantes, quand la dame parla.
– Fais-moi mal !
– Ah ? Et en quoi ça consiste ?
J’étais ingénu à l’époque. Virgile eut du mal à me pardonner, question de standing.
Le Leader Maximo était toujours vêtu d’une longue toge blanche sur un corps d’ascète. Il avait des yeux qu’on croyait hypnotiques parce qu’ils étaient saillants, et un bouc qui était plus poussiéreux que chenu. Son regard furieux épinglait comme des papillons ses interlocuteurs psychiquement fragiles. Il était assisté dans les cérémonies par son épouse et leurs deux enfants mineurs. L’épouse avait une devise : jamais moins de trois ! Les enfants n’avaient pas de dicton particulier. Je leur ai demandé ce qu’ils pensaient du monde des adultes, ils étaient circonspects. Le Maître, accompagné de toute son équipe, menait des happenings sauvages, c’est le mot, dans les restaurants du 1er arrondissement où les convives éberlués en avalaient de travers. Il ordonnait régulièrement des mariages dans les caves où le marié était marqué au fer rouge des initiales de la mariée. Précisons que l’assistance secourable d’un anesthésiste SM n’était pas négligeable au cas où le marié tournerait de l’œil – en effet, tout se perd.
Le reste du temps, le Guide officiait comme Célébrant d’un culte druidique très personnel. Des feuilles de laurier et des brindilles de thym dans sa barbe et ses longs cheveux, il tenait des discours confus qui passaient pour de l’ésotérisme. Il fut traité de daube par une masochiste malveillante que Virgile finit par sacrifier pour de bon, selon ce qui se murmurait avec une grande admiration entre crucifiés, d’une croix de Saint-André à l’autre – mesure extrême qui aurait justifié qu’on n’ait plus vu le Maître de quelque temps.
Mais j’avais d’autres chats à fouetter, si j’ose dire. Je l’ai retrouvé par hasard bien des années plus tard sur Internet, dans une vidéo bucolique où il était immensément vieux et gambadait en pleine nature comme une chèvre grisonnante avec de vieilles folles toutes nues. Chapeau bas ! Quel tempérament ! Quelle obstination ! Quelle cohérence !
à suivre dans :
http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com